_Article publié sur Agoravox
Le Sénat a refusé hier, dans le cadre des débats sur la réforme des institutions, d'intégrer la possibilité pour les étrangers résidant en France de voter aux élections locales. Suite à la parution de cette information, j'ai pris le temps de lire le compte-rendu des débats en ligne sur le site du Sénat.
Je suis tout simplement sidéré par la piètre qualité des débats. Puérilité, facilité, incohérence, démagogie et sectarisme sont des mots qui résonnent assez fort dans mon crâne au souvenir de cette lecture. Si quelques sénateurs se montrent légèrement plus à la hauteur que d'autres - notamment Pierre Fauchon, seul centriste à intervenir - les échanges étaient généralement soit hors sujet, soit polémistes, soit clichés. On s'accuse, on se chamaille, on se répète, le tout en connaissant l'issue du vote à l'avance...
Pour rappel, seuls les étrangers de l'Union Européenne ont le droit de vote aux élections locales après 6 mois de résidence en France. C'est le cas dans toute l'Union Européenne depuis la mise en application du traité de Maastricht, validé par référendum en 1992. Les ressortissants non français de l'U.E. vivant en métropole représentent environ un tiers des étrangers résidant en France.
Démographiquement, selon l'I.N.S.E.E., depuis 1930, les étrangers représentent une proportion assez stable de la population, entre 4% et 7% (maximum atteint en 1982). En excluant les étrangers originaire de l'U.E. et les mineurs, on peut considérer qu' environ 1,6 millions d'étrangers, électeurs potentiels, résident en France. Si le droite de vote leur était accordé, sans condition de durée de résidence, le collège électoral augmenterait ainsi de moins de 4%. Si la propostion de François Bayrou de conditionner ce droit de vote par une durée de résidence de 10 ans était appliquée, ce collège supplémentaire serait réduit de moitié, soit environ 800 000 électeurs potentiels. Cette population vit plutôt en zone urbaine, est majoritairement originaire du Magrheb, socialement défavorisée et masculine. Une minorité, estimée à 45% de cette population, serait musulmane.
Le droit de vote de ces étrangers est un problème politique, plus que juridique. Si le problème est sans doute plus ancien, François Mitterrand proposait le droit de vote des étrangers parmi les 110 propositions de son programme présidentiel de 1981. Cette proposition n'a jamais été appliquée, mais c'est le véritable point de départ du débat politique actuel sur le sujet. Débat alimenté par la montée puis la descente du F.N. , par l'instauration de la citoyenneté européenne ou encore par le basculement dans l'opinion publique. Près de deux tiers des français se disent aujourd'hui favorable au droit de vote des étrangers pour les élections locales. Sur les bancs parlementaires l'idée progresse également, la gauche et le centre semblent convaincus, une partie de la droite s'ouvre également à l'idée. À titre personnel, le Président Sarkozy lui-même s'y est déclaré favorable pendant la dernière campagne présidentielle.
Dans ce cas, pourquoi est-ce que cela bloque encore?
Les arguments "contre" se fondent sur deux concepts: la souveraineté et la nationalité. Explicitement, le paradigme de souveraineté se traduit dans les débats par des craintes d'ingérences, d'influences et de communautarismes. Dans la transcription du débat d'hier au Sénat, ce type d'argument est flagrant. Il est contré, de manière plus ou moins subtile et tout aussi flagrante, par la limitation du droit de vote des étrangers aux élections locales.
Les "anti" considèrent aussi le droit de vote comme une prérogative de la nationalité. Juridiquement, ça tient la route, mais nationalité et citoyenneté deviennent alors synonymes, ce qui reste discutable. En effet beaucoup d'étrangers résidant en France participent à la vie de la cité autant que les nationaux, n'est-ce pas à cela que l'on devrait "mesurer" la citoyenneté et donc la légitimité du droit de vote? En répondant par la négative à cette question, les "anti" manipulent la nationalité, prétendant qu'elle serait plus facile à obtenir aujourd'hui qu'hier, ce qui est faux, en en faisant un moyen d'exclusion de la vie politique, un outil de soumission. Par l'idée même ils font de la citoyenneté et de la nationalité des antagonismes.
Une exigence des "anti" comme de certains "pro" est la réciprocité. C'est à dire qu'ils seraient prêts à accorder le droit de vote aux étrangers dont le pays d'origine autoriserait le droit de vote aux Français qui y résident. C'est oublier que de nombreux Français expatriés jouissent, du moins en théorie car peu en profitent, d'une double nationalité (ou même multiple) et souvent d'un double vote, et que d'autres résident dans des pays qui accordent déjà un droit de vote à leurs ressortissants étrangers. C'est le cas d'environ un tiers des états de la planète...
Du côté "pro", le terme "démocratie" ne revient que trop rarement, alors qu'il devrait être au coeur de l'argument fondamental. Est-ce démocratique d'exclure de la vie politique une partie de ses acteurs? Évidemment, non. L'égalité, concept central de notre devise nationale, ne doit-elle concernée que les nationaux? Je ne pense pas. Ainsi au nom de l'égalité, un étranger qui travaille, paye des impôts, envoie ses enfants à l'école de la république ou encore respecte nos lois devrait pouvoir agir politiquement. L'égalité est encore plus en question lorsqu'une partie des étrangers, les ressortissants de l'U.E., eux, jouissent du droit de vote.
Au-delà, les "pro" plaident en fait pour une redéfinition de la citoyenneté, pour la délier, ne serait-ce que pariellement, de la nationalité. Il s'agit là de revenir à la définition première du citoyen, résident de la cité. Le fait même qu'a été instaurée une citoyenneté européenne tend à encourager un assouplissement du lien entre citoyenneté et nationalité.
On pourra également se poser la question du tout ou rien. Si les ressortissants étrangers sont aussi citoyens que les nationaux, pourquoi ne pas leur accorder le droit de vote pour toutes les élections, locales et nationales? Selon moi, il y a une différence essentielle entre l'échelle locale et nationale. Les enjeux locaux sont plus pragmatiques et plus inscrits dans le présent ou le court terme, ils engagent une communauté et non un peuple. Pour les élections nationales en revanche, présidentielle et législative, entrent en jeu des valeurs, des principes essentiels qui font l'identité de la nation, la reconnaissance des nationaux dans une histoire, une culture et un destin communs, l'image que la France affiche face au Monde. Vouloir voter pour défendre ou remettre en question ces valeurs et principes, s'engager sur des enjeux majeurs, c'est se reconnaître dans l'identité de ce pays et donc en revendiquer la nationalité. Cela dépasse la citoyenneté, qui devient alors une condition nécessaire mais non suffisante.
Pour conclure, vous l'aurez compris, je supporte le droit de vote des étrangers aux élections locales. Non seulement le droit de vote, mais leur éligibilité. Je le vois comme un pas indispensable vers une démocratie accomplie. Un appel retentissant à l'ouverture pour tous les citoyens français ; un signe de respect, de reconnaissance pour tous ces immigrants que nous sommes allés chercher pour leurs bras, qui sont venus , attirés par la liberté, se sont intégrés et ont participé à bâtir ce qu'est la France aujourd'hui.
A vivre au milieu des fantômes, on devient fantôme soi-même et le monde des démons n'est plus celui des étrangers mais le nôtre, surgit non de la nuit mais de nos entrailles.
[Antoine Audouard]
Aurélien
P.S.: Plus qu'une vingtaine d'heures pour le sondage sur l'avenir de l'U.E. ...
Je suis tout simplement sidéré par la piètre qualité des débats. Puérilité, facilité, incohérence, démagogie et sectarisme sont des mots qui résonnent assez fort dans mon crâne au souvenir de cette lecture. Si quelques sénateurs se montrent légèrement plus à la hauteur que d'autres - notamment Pierre Fauchon, seul centriste à intervenir - les échanges étaient généralement soit hors sujet, soit polémistes, soit clichés. On s'accuse, on se chamaille, on se répète, le tout en connaissant l'issue du vote à l'avance...
Pour rappel, seuls les étrangers de l'Union Européenne ont le droit de vote aux élections locales après 6 mois de résidence en France. C'est le cas dans toute l'Union Européenne depuis la mise en application du traité de Maastricht, validé par référendum en 1992. Les ressortissants non français de l'U.E. vivant en métropole représentent environ un tiers des étrangers résidant en France.
Démographiquement, selon l'I.N.S.E.E., depuis 1930, les étrangers représentent une proportion assez stable de la population, entre 4% et 7% (maximum atteint en 1982). En excluant les étrangers originaire de l'U.E. et les mineurs, on peut considérer qu' environ 1,6 millions d'étrangers, électeurs potentiels, résident en France. Si le droite de vote leur était accordé, sans condition de durée de résidence, le collège électoral augmenterait ainsi de moins de 4%. Si la propostion de François Bayrou de conditionner ce droit de vote par une durée de résidence de 10 ans était appliquée, ce collège supplémentaire serait réduit de moitié, soit environ 800 000 électeurs potentiels. Cette population vit plutôt en zone urbaine, est majoritairement originaire du Magrheb, socialement défavorisée et masculine. Une minorité, estimée à 45% de cette population, serait musulmane.
Le droit de vote de ces étrangers est un problème politique, plus que juridique. Si le problème est sans doute plus ancien, François Mitterrand proposait le droit de vote des étrangers parmi les 110 propositions de son programme présidentiel de 1981. Cette proposition n'a jamais été appliquée, mais c'est le véritable point de départ du débat politique actuel sur le sujet. Débat alimenté par la montée puis la descente du F.N. , par l'instauration de la citoyenneté européenne ou encore par le basculement dans l'opinion publique. Près de deux tiers des français se disent aujourd'hui favorable au droit de vote des étrangers pour les élections locales. Sur les bancs parlementaires l'idée progresse également, la gauche et le centre semblent convaincus, une partie de la droite s'ouvre également à l'idée. À titre personnel, le Président Sarkozy lui-même s'y est déclaré favorable pendant la dernière campagne présidentielle.
Dans ce cas, pourquoi est-ce que cela bloque encore?
Les arguments "contre" se fondent sur deux concepts: la souveraineté et la nationalité. Explicitement, le paradigme de souveraineté se traduit dans les débats par des craintes d'ingérences, d'influences et de communautarismes. Dans la transcription du débat d'hier au Sénat, ce type d'argument est flagrant. Il est contré, de manière plus ou moins subtile et tout aussi flagrante, par la limitation du droit de vote des étrangers aux élections locales.
Les "anti" considèrent aussi le droit de vote comme une prérogative de la nationalité. Juridiquement, ça tient la route, mais nationalité et citoyenneté deviennent alors synonymes, ce qui reste discutable. En effet beaucoup d'étrangers résidant en France participent à la vie de la cité autant que les nationaux, n'est-ce pas à cela que l'on devrait "mesurer" la citoyenneté et donc la légitimité du droit de vote? En répondant par la négative à cette question, les "anti" manipulent la nationalité, prétendant qu'elle serait plus facile à obtenir aujourd'hui qu'hier, ce qui est faux, en en faisant un moyen d'exclusion de la vie politique, un outil de soumission. Par l'idée même ils font de la citoyenneté et de la nationalité des antagonismes.
Une exigence des "anti" comme de certains "pro" est la réciprocité. C'est à dire qu'ils seraient prêts à accorder le droit de vote aux étrangers dont le pays d'origine autoriserait le droit de vote aux Français qui y résident. C'est oublier que de nombreux Français expatriés jouissent, du moins en théorie car peu en profitent, d'une double nationalité (ou même multiple) et souvent d'un double vote, et que d'autres résident dans des pays qui accordent déjà un droit de vote à leurs ressortissants étrangers. C'est le cas d'environ un tiers des états de la planète...
Du côté "pro", le terme "démocratie" ne revient que trop rarement, alors qu'il devrait être au coeur de l'argument fondamental. Est-ce démocratique d'exclure de la vie politique une partie de ses acteurs? Évidemment, non. L'égalité, concept central de notre devise nationale, ne doit-elle concernée que les nationaux? Je ne pense pas. Ainsi au nom de l'égalité, un étranger qui travaille, paye des impôts, envoie ses enfants à l'école de la république ou encore respecte nos lois devrait pouvoir agir politiquement. L'égalité est encore plus en question lorsqu'une partie des étrangers, les ressortissants de l'U.E., eux, jouissent du droit de vote.
Au-delà, les "pro" plaident en fait pour une redéfinition de la citoyenneté, pour la délier, ne serait-ce que pariellement, de la nationalité. Il s'agit là de revenir à la définition première du citoyen, résident de la cité. Le fait même qu'a été instaurée une citoyenneté européenne tend à encourager un assouplissement du lien entre citoyenneté et nationalité.
On pourra également se poser la question du tout ou rien. Si les ressortissants étrangers sont aussi citoyens que les nationaux, pourquoi ne pas leur accorder le droit de vote pour toutes les élections, locales et nationales? Selon moi, il y a une différence essentielle entre l'échelle locale et nationale. Les enjeux locaux sont plus pragmatiques et plus inscrits dans le présent ou le court terme, ils engagent une communauté et non un peuple. Pour les élections nationales en revanche, présidentielle et législative, entrent en jeu des valeurs, des principes essentiels qui font l'identité de la nation, la reconnaissance des nationaux dans une histoire, une culture et un destin communs, l'image que la France affiche face au Monde. Vouloir voter pour défendre ou remettre en question ces valeurs et principes, s'engager sur des enjeux majeurs, c'est se reconnaître dans l'identité de ce pays et donc en revendiquer la nationalité. Cela dépasse la citoyenneté, qui devient alors une condition nécessaire mais non suffisante.
Pour conclure, vous l'aurez compris, je supporte le droit de vote des étrangers aux élections locales. Non seulement le droit de vote, mais leur éligibilité. Je le vois comme un pas indispensable vers une démocratie accomplie. Un appel retentissant à l'ouverture pour tous les citoyens français ; un signe de respect, de reconnaissance pour tous ces immigrants que nous sommes allés chercher pour leurs bras, qui sont venus , attirés par la liberté, se sont intégrés et ont participé à bâtir ce qu'est la France aujourd'hui.
A vivre au milieu des fantômes, on devient fantôme soi-même et le monde des démons n'est plus celui des étrangers mais le nôtre, surgit non de la nuit mais de nos entrailles.
[Antoine Audouard]
Aurélien
P.S.: Plus qu'une vingtaine d'heures pour le sondage sur l'avenir de l'U.E. ...
2 commentaires:
Merci de partager cette information utile! Espérons que vous allez continuer avec le genre de choses que vous faites.
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Merci infiniment pour cette utile et précieuse information. Super votre blog, bravo !
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