vendredi 10 avril 2009

Faut-il connaître un sujet pour en parler?

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Le Président de la République a multiplié, depuis le début de l'année, les déplacements en province en s'entourant de dispositifs de sécurité toujours plus imposants. Cette stratégie lui donnant une image à la fois peureuse et coupée du peuple, l'Élysée tente de corriger le tir ; l'équation à résoudre: réduire le dispositif de sécurité, rapprocher les français du Président, ne pas le faire chahuter. Pas facile...


Mais Nicolas Sarkozy à trouvé la parade: la visite surprise. Et c'est sans prévenir les grands médias ni l'inscrire à son agenda que Nicolas Sarkozy a rendu une visite "surprise", en compagnie du Ministre de l'Éducation Nationale Xavier Darcos, au Lycée Samuel de Champlain de Chennevières-sur-Marne. Tout s'est très bien passé, personne ne s'est fait chahuté... Alors quoi? Les français, notamment les lycéens, ne seraient donc pas si hostiles au Président ni à son Ministre? Non. Croire cela serait oublier que pour l'Élysée, bien souvent, la communication suffit. On annonce que le dispositif de sécurité sera réduit, inutile de le réduire vraiment. En effet, le quartier du lycée était totalement bouclé. Et pour minimiser encore les risques, la visite a eu lieu le mercredi après-midi, c'est à dire dans un lycée vidé de l'immense majorité de ses élèves. Ne baissons pas trop la garde tout de même...

En ce qui concerne le débat auquel a participé Nicolas Sarkozy, plusieurs extraits ont été mis en ligne rapportant quelques propos du Président. Si quelques unes de ses interventions me semblent intéressantes, notamment sur la responsabilisation des lycéens (encore faut-il voir comment concrétiser cette bonne intention...), il en est une qui m'inquiète et m'amuse en même temps. La voici:



Faut-il faire un Bac S pour faire médecine? Pour répondre à cette question il est sans doute bon de rappeler en premier lieu que la médecine est une science, et que le S du Bac S signifie justement, sans doute par un hasard absolu, "scientifique". Par ailleurs les lycéens scientifiques doivent choisir une spécialité lorsqu'ils atteignent la Terminale, année du Bac. Le choix se fait entre les maths, la physique-chimie et les SVT (Sciences de la Vie et de la Terre). Cette dernière spécialisation, héritière de l'ancien Bac D, est la voie la plus naturelle vers des études de médecine puisqu'elle met l'accent sur la biologie. Pour ceux qui auront pris cette option, c'est logiquement cette spécialité qui aura le plus gros coefficient au Bac. Les mathématiques ne sont donc ni le seul critère de sélection des étudiants en médecine, ni même le plus important.

Donc pour répondre au Président: Oui, il faut faire S pour faire médecine. Et même S-SVT. C'est en tout cas fortement conseillé, comparativement à la filière économique ou littéraire. Les qualités intuitives que met en avant Nicolas Sarkozy dans son intervention devraient pourtant le mener à la même conclusion. D'ailleurs, on pourrait s'interroger sur les capacités logiques et intuitives d'un lycéen qui choisirait de faire un Bac littéraire dans le but de devenir, par exemple, pédiatre ou chirurgien. Tout le monde n'a pas la chance de jouir d'une polyvalence élyséenne...

Bien sûr, il n'est pas interdit de trouver sa véritable vocation pendant ou même après l'année du Bac, et de changer de voie. Cependant pourquoi ne pas simplement en accepter les conséquences et repartir un ou deux ans en arrière afin de parcourir le bon chemin dans son intégralité et mettre ainsi toutes les chances de son côté? La compétence passe qu'on le veuille ou non par des connaissances solides et une maîtrise des outils de base spécifiques au champ d'étude. Passer directement d'un Bac littéraire à une première année de médecine c'est d'abord, au moins en partie, gâcher sa formation littéraire et surtout partir avec un très lourd handicap par rapport aux autres étudiants qui eux auront suivi la voie scientifique. Quand on sait l'ampleur de l'écrémage qui a lieu lors des premières années de médecine, mieux vaut arriver bien armé pour relever le défi.

Plutôt que de mettre en danger d'échec les étudiants en ajoutant de la confusion et de l'improvisation à la résignation - très peu de lycéens et d'étudiants choisissent une voie par vocation réelle -, je pense que le gouvernement serait mieux avisé de réformer le système éducatif afin de faire émerger les vocations et de les aider à se réaliser. Il s'agirait de mettre fin à la compartimentation des savoirs, à la spécialisation bornée et aveugle aux autres disciplines, d'équilibrer les qualités requises, de les élargir aux qualités humaines, au savoir être. On touche là à la réforme de l'Éducation et de la Pensée Complexe proposée par Edgar Morin.

Ironiquement, sans vraiment le vouloir ni le comprendre, je pense que c'est, indirectement et malgré lui, ce pour quoi plaide Nicolas Sarkozy dans cette intervention. Comme quoi - pas que ce soit une surprise - il est possible de parler d'un sujet sans le connaître... Il est, en revanche, indispensable de le comprendre pour agir dessus efficacement.


Aurélien
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mercredi 8 avril 2009

La honte de ce pays

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Lors de sa campagne présidentielle, et peut-être même avant, Nicolas Sarkozy menait la charge de la droite dite décomplexée. De fait, depuis l'arrivée du Président actuel à son précédent poste au Ministère de l'Intérieur, nous avons en France une droite qui s'assume, qui n'a plus peur de défendre les plus riches, de s'attaquer aux acquis sociaux, de parler d'immigration ou d'identité nationale, le tout en n'hésitant pas à s'approprier les références et valeurs de ses adversaires. Force est de constater qu'électoralement parlant, ça fonctionne plutôt bien pour elle.

Sauf que celui qui aura décomplexé son camp semble aujourd'hui subir un méchant retour de bâton et n'assume plus grand chose, au point de se ridiculiser et de craindre plus que jamais la réalité. Pour illustrer ceci, je vous propose d'observer les faits lors de l'arrivée du couple présidentiel américain à Strasbourg pour le récent sommet de l'OTAN.


Cette photo a fait le tour des médias, vous avez sans doute déjà vu que le Président de la République se tient là sur la pointe des pieds. Veut-il se grandir par rapport à Obama ou Carla? Peu importe... Ce qui est à noter c'est qu'en ce moment historique, puisqu'il s'agit de la première visite du nouveau Président américain en France, qui plus est pour un sommet de l'OTAN marqué par le retour tout aussi historique de la France dans ses structures militaires, Nicolas Sarkozy n'a en tête que son image et son complexe d'infériorité.

Il en est obsédé au point d'oublier les dizaines de photographes sur place, les rédactions, blogueurs et commentateurs qui ne manqueront pas de le moquer. Lui, la bête de communication, dans un moment d'émotion certainement intense, perd ses moyens, le sens des réalités et oublie sa fonction pour ne penser qu'à sa petite - sans jeu de mot - personne.

S'il évitait ce genre de puérilités - car ce n'est pas la première fois et c'est même quasi-systématique lorsqu'il est à côté de Carla Bruni - ceux qui se moqueraient de sa petite taille seraient les imbéciles. Par ce comportement c'est lui-même qui ouvre le feu nourri des quolibets. En cédant ainsi à son complexe il affiche non seulement ses craintes mais aussi sa perception des observateurs parmi lesquels, non des moindres, le peuple français qui, consciemment ou non, ne peut voir là que quelqu'un qui au fond n'a que sa propre image à l'esprit. Une image qu'il n'aime pas.

Tout ceci ne serait après tout pas si grave si ce n'était que sa propre réalité physique que Nicolas Sarkozy fuyait. Mais le complexe va bien au-delà car c'est aussi du peuple qu'il représente - nous - qu'il a honte:



Ce n'est pas la première fois que de telles mises en scène sont réalisées pour ne pas offusquer Nicolas Sarkozy. On se souvient du dernier salon de l'agriculture ou plus récemment du discours de Saint-Quentin, sans oublier les centaines de forces de l'ordre déployées lors de chacun de ses déplacements pour surtout ne pas croiser de français autres que ses fanatiques. Tous ces précédents sont déjà inacceptables en eux-mêmes dans une démocratie, mais là il s'agit de la visite d'un chef d'état étranger, et pas n'importe lequel. Dans cette mise en scène, c'est aussi Barack Obama qui est pris pour une truffe, car je doute fort qu'il ait été mis au courant que les mains serrées ce jour là étaient exclusivement celles d'adhérents UMP et non représentatives du peuple de France.

Évidemment, le Président américain jouissant d'une popularité immense dans son pays et bien au-delà, son homologue français n'aurait pu souffrir quelques huées à son encontre révélant sa propre impopularité. Il lui aurait alors fallu honteusement expliquer à son invité que les français sont des bœufs indignes sans savoir vivre. Non... autant les tenir à l'écart et ne présenter au premier Président américain issu des minorités et représentatif de la diversité de son pays que des gentils petits adhérents de l'UMP, tous plus blancs les uns que les autres, pour représenter la France, pays uniforme s'il en est comme chacun sait...

De ce dont je me souviens de ses deux prédecesseurs, même au plus bas dans les sondages, et même bien plus bas que Nicolas Sarkozy actuellement en ce qui concerne Chirac, ils allaient encore serrer les mains de tous les français. À moins que les sondages actuels ne mentent dans les grandes largeurs sur la popularité de l'exécutif... Pour l'anecdote, Chirac, toujours lui, se faisant interpeller "Connard!" répondait dans un large sourire "Enchanté, moi c'est Chirac". Une hauteur de vue et d'esprit dont le Président actuel - "Casse-toi, pauv'con" - est incapable, même sur la pointe des pieds.

Non seulement Nicolas Sarkozy a peur des français, il en a honte comme il a honte de lui-même. Nous sommes son complexe, la réalité qui le blesse.

Et il nous le rend bien...


Aurélien
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mardi 7 avril 2009

Le degré zéro de la politique...

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Et même en deçà. Le comble du mépris, de l'arrogance aussi ; les tontons flingueurs... en beaucoup moins drôle. 5 minutes de mensonges, de mépris et de mauvaise foi absolue:


No comment.


Aurélien
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jeudi 2 avril 2009

Les Jeudis d'Edgar - 23 - Complexité, Enseignement, Humanisme

Chaque jeudi (ou presque...) je viens vous présenter un échantillon de l'œuvre et de la pensée d'Edgar Morin. Je souhaite ainsi, en rapprochant à ma modeste mesure ses idées de la politique en général et du MoDem en particulier, nourrir les débats qui prendront place pour définir, et éventuellement mettre en application, ce nouveau modèle de société que des millions de français ont appelé de leurs vœux en mai 2007.

Ce long billet tente de tisser des liens non seulement entre la Pensée Complexe et le projet politique et sociétal du Mouvement Démocrate, mais aussi entre Éducation et Humanisme, deux thèmes majeurs au MoDem.


Les disciplines devraient par ailleurs être inscrites dans des "objets" à la fois naturels et culturels, comme le monde, la Terre, la vie, l'humanité. Ils sont naturels car ils sont perçus par chacun dans leur globalité, et nous semblent évidents. Or ces objets naturels ont disparu de l'enseignement ; ils sont actuellement morcelés et dissous par les disciplines non seulement physiques et chimiques, mais aussi biologiques (puisque les disciplines biologiques traitent de molécules, de gènes, de comportements, etc., et rejettent comme inutile la notion même de vie) ; de même, les sciences humaines ont morcelé et occulté l'humain en tant que tel, et les théoriciens du structuralisme ont même pensé présomptueusement qu'il fallait dissoudre la notion d'homme. [Edgar Morin - Relier les connaissances]

Parce que la réalité n'est pas disciplinaire, c'est notre esprit qui la morcelle ainsi, Edgar Morin nous invite constamment à relier les connaissances, à les "tisser" ensemble (complexus). Les études disciplinaires, qui forgent une bonne part de notre identité, représentent un danger d'enfermement, d'aveuglement. Il serait avantageux d'apprendre aux élèves à reconnaître les liens qui existent entre les disciplines, entre les multiples facettes d'une même problématique.


L'explication est un processus abstrait de démonstrations logiquement effectuées, à partir de données objectives, en vertu de nécessités causales matérielles ou formelles et/ou en vertu d'une adéquation à des structures ou modèles. La compréhension se meut principalement dans les sphères du concret, de l'analogique, de l'intuition globale, du subjectif. L'explication se meurt principalement dans les sphères de l'abstrait, du logique, de l'analytique, de l'objectif. La compréhension comprend en vertu de transferts projectifs/identificatifs. L'explication explique en vertu de la pertinence logico-empirique de ses démonstrations. Alors que comprendre est saisir les significations existentielles d'une situation ou d'un phénomène, "expliquer, c'est situer un objet ou un événement par rapport à son origine ou mode de production, ses parties ou composants constitutifs, sa constitution, son utilité, sa finalité."(J. Schlanger)[Edgar Morin - La connaissance de la connaissance]

L'enseignement français suit généralement une logique mathématique classique qui n'évolue que trop rarement et par petites retouches. Une logique quasi-exclusivement déductive et démonstrative qui limite la compréhension au point de laisser, parfois, les enseignants impuissants face à certaines incompréhensions des élèves. La Pensée Complexe entend stimuler l'induction, les associations d'idées, l'imaginaire ou encore la créativité, notamment grâce aux boucles dialogiques.


L'éducation doit donc se vouer à la détection des sources d'erreur, d'illusion et d'aveuglements...L'importance du fantasme et de l'imaginaire chez l'être humain est inouïe ; étant donné que les voies d'entrée et de sortie du système neuro-cérébral, qui mettent en connexion l'organisme et le monde extérieur, ne représentent que 2 % de l'ensemble, alors que 98 % concernent le fonctionnement intérieur, il s'est constitué un monde psychique relativement indépendant, où fermentent besoins, rêves, désirs, idées, images, fantasmes, et ce monde imprègne notre vision ou conception du monde extérieur...

Ce qui permet la distinction entre veille et rêve, imaginaire et réel, subjectif et objectif, c'est l'activité rationnelle de l'esprit qui fait appel au contrôle de l'environnement (résistance physique du milieu au désir et à l'imaginaire), au contrôle de la pratique (activité vérificatrice), au contrôle de la culture (référence au savoir commun), au contrôle d'autrui (est-ce que vous voyez la même chose que moi ?), au contrôle cortical (mémoire, opérations logiques).

Autrement dit, c'est la rationalité qui est correctrice. La rationalité est le meilleur garde-fou contre l'erreur et l'illusion. D'une part, il y a la rationalité constructive, qui élabore des théories cohérentes en vérifiant le caractère logique de l'organisation théorique, la compatibilité entre les idées composant la théorie, l'accord entre ses assertions et les données empiriques auxquelles elle s'applique; une telle rationalité doit demeurer ouverte à ce qui la conteste, sinon elle se referme en doctrine et devient rationalisation; d'autre part, il y a la rationalité critique qui s'exerce particulièrement sur les erreurs et illusions des croyances, doctrines et théories. Mais la rationalité porte aussi en son sein une possibilité d'erreur et d'illusion quand elle se pervertit, nous venons de l'indiquer, en rationalisation.

La rationalisation se croit rationnelle parce qu'elle constitue un système logique parfait, fondé sur déduction ou induction, mais elle se fonde sur des bases mutilées ou fausses, et elle se ferme à la contestation d'arguments et à la vérification empirique. La rationalisation est close, la rationalité est ouverte. La rationalisation puise aux mêmes sources que la rationalité, mais elle constitue une des plus puissantes sources d'erreurs et d'illusions. Ainsi, une doctrine obéissant à un modèle mécaniste et déterministe pour considérer le monde n'est pas rationnelle mais rationalisatrice. [Edgar Morin - Les sept savoir nécessaires à l'éducation du futur]

Ceci rend primordiale la déconstruction des représentations erronées des élèves avant de faire un cours. En effet les élèves ont chacun un bagage propre, un univers psychique interne vivant, avant même d'apprendre. Leurs esprits ne sont ni vierges ni forcément correctement disposés pour la leçon du moment.

C'est notre concept même d'"intelligence" qu'il faut recadrer et rassembler. Par exemple, comment mesurer l'intelligence? Est-ce une question de résultats? de compétences? de succès? Une conception plus large serait de considérer sa capacité à saisir la complexité des questions, à gérer l'imprévu, à relier ce qui est disjoint. L'intelligence de la complexité propose une autre vision et sept enseignements fondamentaux:

1- Les cécités de la connaissance (les erreurs, la normalisation, l'inattendu, l'incertitude...)
2- Les principes d'une connaissance pertinente (le contexte, le global, le multidimensionnel, le complexe...)
3- La condition humaine (enracinement, déracinement, les boucles: cerveau/esprit/culture...)
4- L'identité terrienne (le legs du XX e siécle, les nouveaux périls, la conscience terrienne...)
5- Affronter les incertitudes (historiques, de la connaissance, du réel, boucles risque/précaution...)
6- La compréhension (obstacles, l'esprit réducteur, conscience de la complexité humaine...)
7- L'Éthique du genre humain (démocratie et complexité, la citoyenneté terrestre, le destin planétaire... )

L'enseignement systémique proposé par Edgar Morin est des plus réformateurs. Il s'agit d'enseigner une méthode plutôt qu'un programme:

Rien n'est plus éloigné de notre conception de la méthode que cette vision composée d'un ensemble de recettes efficaces pour la réalisation d'un résultat prévu. Cette idée-là de la méthode présuppose son résultat depuis le début ; dans cette acception, méthode et programme sont équivalents. Il se peut que dans certaines situations il ne soit pas utile d'aller au-delà de l'exécution d'un programme, dont le succès ne pourra pas être exempt d'un relatif conditionnement par le contexte dans lequel il se déroule. Mais en réalité, les choses ne sont pas aussi simples, pas même lors de la préparation d'une recette de cuisine, plus proche d'un effort de recréation que de l'application mécanique de mélanges d'ingrédients et de modes de cuisson....
Cependant, si nous sommes dans le vrai lorsque nous affirmons que la réalité change et se transforme, une conception de la méthode comme programme est plus qu'insuffisante, car si face à des situations changeantes et incertaines les programmes ne sont pas très utiles, la présence d'un sujet pensant et stratège est en revanche indispensable. Nous pouvons affirmer ceci: dans des situations complexes, c'est-à-dire là où dans un même espace et dans un même temps il y a non seulement de l'ordre mais aussi du désordre, là où il y a non seulement des déterminismes mais aussi des hasards, là où émerge l'incertitude, il faut l'attitude stratégique d'un sujet ; face à l'ignorance et à la confusion sa perplexité et sa lucidité sont indispensables.[Edgar Morin - Éduquer pour l'ère planétaire]

Cette méthode ne doit pas être exclusive au monde enseignant, elle doit faire partie intégrante du fonctionnement humain, quelles que soient les générations, les classes sociales, les professions. Elle doit devenir naturelle jusque dans la sphère où le naturel est pour l'instant proscrit: la politique. Nous sommes tous, en permanence, dans la même galère, sur la même planète Terre et ce n'est pas sans conséquence sur nos attitudes.

Aujourd'hui, on isole les problèmes du chômage, de l'emploi, de l'exclusion hors de leur contexte et on prétend les traiter à partir d'une logique économique close. Il faut au contraire les considérer au sein d'une grande problématique de société et partir des besoins de civilisation qui, d'eux-mêmes, exigent de nouveaux emplois. Il ne suffit pas de partir d'un "social" qui mettrait entre parenthèse le civilisationnel... Enfin, si nous partons des problèmes français, nous ne devons oublier ni leur singularité, ni leur généralité: les problèmes fondamentaux de civilisation qui affectent la France sont aussi ceux de l'Europe et, plus largement, ce sont les problèmes qui, dans le monde, se trouvent posés partout où il y a eu "développement" — c'est-à-dire développement de notre civilisation —, et ils se poseront tôt ou tard partout où on est "en cours de développement".

Je reconnais ici le projet humaniste dont parle régulièrement François Bayrou, aussi bien pour la France, pour l'Europe que pour le Monde, ainsi qu'une approche permettant de le réaliser. En effet, la méthode avancée par Edgar Morin serait un outil fondateur de conscience, de compréhension et de responsabilité pour des citoyens alors capables de faire vivre un régime pleinement démocratique.

Pour lire ou relire tous les épisodes des Jeudis d'Edgar, c'est par ici.


Aurélien
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mardi 31 mars 2009

You talkin' to me, toi?

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C'est en tant que Président de la République Française et du Conseil Européen que Nicolas Sarkozy avait pris l'initiative de réunir un G20 à Washington, où se décida la nouvelle réunion de cette semaine à Londres. Autrement dit le G20, c'est son outil mondial de résolution de la crise à lui. En novembre 2008, Patrick Devedjian, Ministre relanceur, et Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, s'en félicitaient.

Le premier se réjouissait que l’Europe, et la Présidence française de l’union européenne, soit à l’initiative de la réponse mondiale à cette crise. Dans la même déclaration il affirmait avec autant de certitude que l'initiative du paquet fiscal avait fait gagner à la France quelques points de croissance lui permettant aujourd’hui de ne pas se trouver en situation de récession comme le sont d’autres pays européens. Quelle vista!

Le second soulignait le succès du G20 qui, après sept semaines de préparation, a permis en 48 heures, à ceux (pays émergents et développés) que l'on présentait comme irréconciliables, d'envoyer un signal extrêmement positif au monde entier. Il saluait aussi la naissance de cette nouvelle institution de régulation financière et de relance de la croissance économique, prenant des décisions concrètes.

Nicolas Sarkozy lui-même, associé à la Chancelière allemande Angela Merkel, rappelait il y a quinze jours l'importance du sommet de Londres et l'indispensable solidarité et responsabilité de l'Union Européenne sur la question: Par la présente lettre, la France et l’Allemagne entendent contribuer à la préparation du Conseil européen de printemps et permettre que s’affirme la voix commune des Européens dans la perspective du G20. Ce n’est qu’ensemble que notre voix sera assez forte pour assurer notre intérêt commun en ramenant nos économies sur la voie du développement durable dans le monde globalisé d’aujourd’hui. Dans son déjà célèbre discours de Saint-Quentin, il affirmait encore que ce n’est pas parce que les défis auxquels nous sommes confrontés sont immenses - parce que cette crise est d’une ampleur sans précédent - que nous pouvons nous laisser aller au renoncement. [...] La France a toujours raison quand elle est le refus du renoncement. [...] Perte de repères, rappel des valeurs : dans la crise, il faut d’abord garder son sang froid.

Responsabilité, solidarité, détermination. Tels sont les mots d'ordre du Président français qui veut s'imposer comme le moteur moralisateur et décisionnel de ce G20. Aussi, à 48 heures du sommet de Londres il menace: Si ça n'avance pas, ce sera la chaise vide ! Je me lèverai et je partirai. [...] Rien ne serait pire qu'un G20 a minima, je préfère le clash au consensus mou. [...] On ne peut pas tout changer d'un coup mais il faut des résultats [...] Je ne m'associerai pas à un sommet mondial qui déciderait de ne rien décider.

Une attitude qui se veut ambitieuse, courageuse et exigeante... et qui n'est en fait que la parfaite illustration de l'incohérence perpétuelle d'un personnage qui, soucieux de sa seule image, ne cherche qu'à s'approprier les succès et se décharger des échecs. Celui qui déclarait il y a seulement quelques jours que les absents ont toujours tort, pour justifier le retour de la France dans l'OTAN, est aujourd'hui prêt au boycott d'une réunion internationale majeure. C'est son idée du refus du renoncement...

Si le monstre qu'il se vante d'avoir créé s'avérait dysfonctionnel, il en rejetterait la faute sur ceux à qui il prétent l'avoir imposé et prendrait la poudre d'escampette. Après s'être coupé de son peuple en ne s'exprimant plus que devant des publics acquis à sa cause dans des lieux surprotégés par des centaines de CRS, il assume déjà un possible isolement sur la scène internationale.

L'équation est à présent simple. Si le G20 débouche sur des décisions concrètes importantes, ce sera sous la pression que Nicolas Sarkozy aura imposée sur tous ses partenaires (qu'il voit certainement plus comme des concurrents). Si le G20 ne débouche sur rien, ce sera par manque de courage et responsabilité de la part de tous, sauf lui. C'est sans doute sa définition du gagnant-gagnant...

Cela me fait penser aux supporters de foot qui hurlent "On a gagné" lorsque leurs favoris s'imposent, et gémissent "Ils ont perdu" quand les mêmes subissent la défaite. Curieux sens de la solidarité et de la responsabilité. Cela ressemble aussi aux jeunes enfants qui se lancent précipitamment dans un puzzle et, au bord de la crise de nerfs, abandonnent à la moindre difficulté. Étrange conception du sang-froid ; c'est tout simplement petit.

Quel crédit pour un pays incarné par un si petit personnage face aux dirigeants des États-Unis et de leur plan de relance massif ou de la Chine et de leur proposition pour une monnaie mondiale de référence? Quelle impression laissée par la France
, à travers ce ridicule roulé des mécaniques, sur le plan international?


Le faux courage attend les grandes occasions...
Le courage véritable consiste chaque jour à vaincre les petits ennemis.
[Paul Nizan]


Aurélien
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vendredi 27 mars 2009

Pousse de Kiwis

C'est le printemps et les Kiwis veulent repérer des bourgeons:

Vous êtes un micro-blog, un inconnu de la blogosphère, une poussière dans le vaste univers de l’internet?

Vous écrivez des billets passionnants, mais seule votre petite soeur pour l’instant se connecte une fois par semaine pour vous lire? Et encore, elle réclame 5 euros par connexion?

Vous êtes plein d’avenir et vous trouvez que votre talent n’est pas reconnu à sa juste valeur?

Vous êtes un futur Versac, un demi-Eolas, un quart de Le Meur, ou tout simplement vous-même?

Ce concours est fait pour vous!

L’alliance de blogs Kiwis s’amuse, et lance, en coopération avec le journal Vendredi, un concours réservé aux blogs qui ont AU MAXIMUM 6 mois d’existence (le 1er billet faisant foi) et qui parlent principalement de politique. Son nom : Pousse de Kiwis.

L’objectif? Participer au concours, relever les épreuves terribles concoctées par le jury, développer votre notoriété, bien rigoler avec pour récompense symbolique l’entrée dans la communauté Kiwis d’un ou plusieurs blogs. Vous n’imaginez même pas la reconnaissance!

Les kiwis sélectionneront donc 7 blogs parmi les milliers de milliards de candidats pour commencer et mettront en scène plusieurs épreuves éliminatoires, en rapport avec la Charte de notre groupe qui est disponible sur kiwisphere.blogspot.com.

Le jury de la mort-qui-tue sera composé des blogueurs Toréador, Chafouin, Café Croissant, H16 et Serge Brière, représentant toutes les tendances du spectre politique, ainsi que de Jacques Rosselin, rédacteur en chef de Vendredi (Spectre en chef, vampire niveau 2, diable politique du 4ème Cercle).


Le journal Vendredi publiera les meilleurs billets de cette joute amicale et sympathique. Enfin… Il est censé… Envoyez votre candidature au Toréador avant le 8 avril 2009.


Bonne chance!


Aurélien
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jeudi 26 mars 2009

Les Jeudis d'Egar - 22 - Fleur d'hypercomplexité

Chaque jeudi (ou presque...) je viens vous présenter un échantillon de l'œuvre et de la pensée d'Edgar Morin. Je souhaite ainsi, en rapprochant à ma modeste mesure ses idées de la politique en général et du MoDem en particulier, nourrir les débats qui prendront place pour définir, et éventuellement mettre en application, ce nouveau modèle de société que des millions de français ont appelé de leurs vœux en mai 2007.

Je vous propose de prendre un instant pour cueillir...


... la fleur de l'hypercomplexité, c'est-à-dire la conscience.
[Edgar Morin - Le Paradigme Perdu]


La conscience est le produit global d'interactions et d'interférences cérébrales inséparables des interactions et interférences d'une culture sur un individu. On peut effectivement la concevoir comme épiphénomène, éclair jaillissant et s'éteignant aussitôt, feu follet incapable de modifier un comportement commandé ou "programmé" par ailleurs (l'appareil génétique, la société, les "pulsions", etc.). La conscience peut aussi très justement apparaître comme superstructure, résultante d'une organisation des profondeurs, et qui se manifeste de façon superficielle et fragile, comme tout ce qui est second et dépendant.


Mais une telle description omettrait de remarquer que cet épiphénomène fragile est en même temps la qualité globale la plus extraordinaire du cerveau, l'auto-réflexion par quoi existe le "moi, je". Cette description ignorerait aussi la rétroaction de la conscience sur les idées et sur le comportement, les bouleversements qu'elle peut apporter (conscience de la mort). Cette description ignorerait enfin la dimension tout à fait nouvelle et parfois décisive que l'aptitude autocritique de la conscience peut apporter à la personnalité elle-même.

La rétroaction de la conscience peut être plus ou moins incertaine, plus ou moins modificatrice. Et, selon les moments, selon les conditions, selon les individus, selon les problèmes affrontés, selon les pulsions mises en cause, la conscience apparaîtra, tantôt comme pur épiphénomène, tantôt comme superstructure, tantôt comme qualité globale, tantôt capable, tantôt incapable de rétroaction.


Pour lire ou relire tous les épisodes des Jeudis d'Edgar, c'est par ici.


Aurélien
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mercredi 25 mars 2009

Trop... c'est combien?

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À l'UMP comme au PS, des bancs de l'Assemblée Nationale à ceux du Sénat en passant par le Conseil des Ministres et la campagne permanente du Président de la République, c'est le buzz politique du moment: doit-on légiférer sur la rémunération des patrons?


Depuis plusieurs années déjà les annonces de parachutes dorés, d'attribution de stock-options et autres bonus, même en périodes sombres pour les entreprises concernées, choquent les citoyens et alimentent les tensions entre les travailleurs et le patronat. Dans le contexte actuel de crise économique et sociale, ces mêmes annonces venant d'entreprises aidées par l'État ont un effet négatif décuplé. Ainsi, dans un mouvement de panique générale, c'est presque unanimement que la classe politique brandit la menace législative au nez des patrons.

Ce qui m'interroge particulièrement dans tout ce battage politico-médiatique et cette surenchère entre moraline et démagogie, c'est que toutes les critiques se concentrent sur les rémunérations annexes et n'abordent jamais la question du seul salaire. Nicolas Sarkozy qui se présente souvent comme un chasseur de tabous pourrait pourtant s'y attarder.

Sur le cas par exemple de Thierry Morin, PDG de Valeo, qui quitte une entreprise dans laquelle l'État vient d'injecter 19 millions d'euros, qui annonce des dizaines de millions d'euros de perte et supprime 1 600 emplois, avec un chèque de plus de 3 200 000 euros... Trop peu, selon moi, de médias ou de politiciens rappellent que ce montant n'est élevé que parce qu'il correspond a deux ans d'un salaire lui même vertigineux. Thierry Morin percevait un salaire de 1 600 000 euros par an. C'est énorme mais il reste un ''petit joueur'' comparé à certains patrons du CAC 40 qui ont un salaire - j'insiste: hors stock-options ou bonus - quatre à cinq fois plus élevé...

Il est évident qu’il s’agit d’une forme détournée d’accaparement des profits. Quand Nicolas Sarkozy annonce une discussion entre partenaires sociaux sur le partage des profits, et une loi si cette discussion n'aboutit pas, la question du salaire des patrons est incontournable: est-ce trop? Et si oui, ou situer la limite acceptable?

En France, les salaires des plus gros bonnets du CAC 40 étaient, en moyenne, de 2 à 3 millions d’euros par an ces dernières années, 190 fois le SMIC. Pour moi un tel salaire c'est trop, quelles que soient l'entreprise et la charge de travail. Comment croire, par exemple, qu'il n'existe personne suffisamment compétente, volontaire et disponible pour accomplir le même travail pour ''seulement'' 1 000 000 euros? 500 000 euros? Qui pourrait légitimement s'estimer lésé de ne percevoir ''que'' 500 000 euros par an pour quelque travail que ce soit?

La question plus délicate est: à partir de combien c'est trop?

Une bonne approche du problème, et surtout de la solution, serait de fixer un éventail de revenus bruts salariaux allant de 1 (pour un SMIC à temps plein) à X pour les plus hauts revenus, tout en maintenant la progressivité de l’impôt sur le revenu. X variant selon la taille de l'entreprise, et éventuellement selon certaines responsabilités quant à la sécurité et la santé publique ou même l'environnement, entre 1 (soyons fous, mais cela existe, je l'ai vécu) et - je reste ouvert au débat - 15. Pour simple indication, cela correspond actuellement au salaire de Nicolas Sarkozy qui, à la tête de l'État, porte de lourdes responsabilités et dirige une entreprise publique de plus de 5 millions de salariés. 15 fois le SMIC actuel, c'est environ 240 000 euros par an. De quoi rapidement réussir sa vie selon le plus stricte des critères...

A l'échelle européenne, on pourrait étendre cette proposition en la couplant avec celle d’un salaire minimum européen, calé sur le PIB par habitant. Pourquoi, aussi, ne pas autoriser d'aller au-delà de X à condition de voir son taux d'imposition augmenter significativement?

Il me semble qu'associer ce type de mesure à une régulation sérieuse sur les conditions d'attributions - critères de performance économique, bien sûr, mais aussi sociale et environnementale - des stocks-options, bonus et parachutes dorés permettrait de remettre un peu d'éthique, de confiance et de sérénité dans la chaîne économique et sociale.
Aurélien
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mardi 24 mars 2009

Manifeste pour la Métamorphose du Monde

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C'est un appel aux artistes, aux créateurs de ce monde, témoins et acteurs de la crise du monde qui affecte toutes les sphères. Il est le fruit d'une collaboration entre Edgar Morin, le prospectiviste et politologue Pierre F.Gonod, et l'artiste Paskua. Baptisé Appel de Bora Bora, il sera publié, sous forme de manifeste illustré, en marge du sommet du G 20 de Londres, le 2 avril prochain, lors d'un rassemblement de plus de cinq cents artistes internationaux de toutes disciplines.

Ce texte stimule les consciences sur une potentielle métamorphose, improbable dans l'état global de conscience actuelle. Improbable... donc possible ; il y a des raisons d'espérer. Ces raisons s'accrochent à l'éventuelle réalisation d' un projet sociétal cohérent, alternatif, réaliste et visionnaire qui demande un supplément d'âme.


Publié sur le site de l'artiste Paskua, résidant à Bora Bora, ce manifeste propose ainsi sept réformes fondatrices d'une voie nouvelle: réforme politique, politique de l'humanité et de civilisation ; réformes économiques ; réformes sociales ; réforme de la pensée ; réforme de l'éducation ; réforme de vie ; réforme morale.


APPEL A LA METAMORPHOSE DU MONDE

Adresse aux artistes

par Edgar Morin, Pierre Gonod et Paskua


21 Mars 2009

Chers amis,

Permettez nous de vous saluer et de vous féliciter pour votre initiative de former le groupe « Métamorphose ». Nous ne nous étonnons pas que les premiers à s’engager dans ce combat pour le futur soient des artistes. Ils ressentent plus profondément et plus vite que les autres la souffrance et les espérances du monde, leurs œuvres libèrent des forces génératrices – créatives. Nous vous invitons à mettre vos talents au service du vaste mouvement pour la métamorphose du monde dont vous serez les pionniers. L’œuvre singulière de notre ami Paskua en incarne l’avant-garde.

Vous êtes témoins et acteurs de la crise du monde qui affecte toutes les sphères. Une analyse systémique montre qu’elle est le résultat de l’enchevêtrement de multiples composants, des relations et rétroactions innombrables qui se tissent entre des processus extrêmement divers ayant pour sièges les systèmes économiques, sociaux, démographiques, politiques, idéologiques, religieux, l’éthique, la pensée, le mode de vie, l’écosystème, tous en crise.

Le vaisseau spatial terre n’a pas de pilote. Ses quatre moteurs, la science, la technique, l’économie, le profit, sont, chacun incontrôlé. En l’absence d’une gouvernance mondiale, le vaisseau va vers la catastrophe. C’est l’hypothèse la plus probable.

L’improbable c’est la capacité d’une guidance en temps utile pour suivre un autre itinéraire permettant de traiter les problèmes vitaux pour l’humanité, en premier lieu la dégradation de la biosphère sans oublier les menaces nucléaires qui ne sont pas disparues.

Il faudrait une métamorphose, qui dans l’état de conscience actuelle est une hypothèse improbable, quoique non nulle. Mais qu’est, au fait, une métamorphose ? Sinon le changement d’une forme en une autre, et, en biologie, une transformation importante du corps et du mode vie au cours du développement de certains animaux comme les batraciens et certains insectes. Ainsi on parle des métamorphoses du papillon ou des grenouilles. Ici l’auto-destruction est en même temps auto-construction, une identité maintenue dans l’altérité.

Plus généralement la naissance de la vie est une métamorphose d’une organisation chimico-physique. Les sociétés historiques le sont devenues à partir d’un agrégat de sociétés archaïques. Vie et société sont le produit de métamorphoses. Elles sont en danger. L’histoire c’est aussi l’issue tragique du développement d’une capacité à détruire l’humanité. Il y a donc la nécessité vitale d’une meta-histoire. Il n’a pas de fin de l’histoire, contrairement à la thèse de Fukuyama qui avait tiré du triomphe du capitalisme la conclusion de sa pérennité. Les capacités créatrices ne sont pas épuisées. Une autre histoire est possible.

Il y a des raisons d’espérer.

L’Homme Générique de Marx exprime ses vertus génératrices et créatrices inhérentes à l’humanité. Il y a toujours en lui ces capacités. On peut user de la métaphore des cellules souches dormantes dans l’organisme adulte et que la biologie moderne a révélées. De même, il y a dans les sociétés normalisées, stabilisées, rigidifiées, des forces génératrices-créatrices qui se manifestent. : « International art movement for the metamorphosis of the world » en est la preuve.

La crise financière et économique pousse actuellement nombre de dirigeants et d’économistes réveillés de leur torpeur à « réformer le capitalisme ». C’est une nécessité que certains considèrent encore comme une contrainte conjoncturelle. Mais il s’agit d’une crise systémique, beaucoup plus large et profonde, la crise planétaire multidimensionnelle. Et avec elle est concerné l’ensemble des peuples. C’est dans leur sein que vont s’éveiller des forces créatrices et une volonté transformatrice. Si une hirondelle ne fait pas le printemps, des signes forts sont apparus.

Ainsi, de Seattle à Porto Alegre s’est manifestée une volonté de répondre à la mondialisation techno-économique par le développement d’autres formes de mondialisation, allant vers l’élaboration d’une véritable « politique de l’humanité », qui devrait dépasser l’idée de développement.

Nul ne peut faire l’impasse sur l’aspiration multimillénaire de l’humanité à l’harmonie, qu’elle prenne la forme du paradis, des utopies, des idéologies libertaire, socialiste, communiste, puis des révoltes juvéniles des années 60 (Peace-Love). Cette aspiration n’a pas disparu. Elle se manifeste par des myriades de pensées, d’initiatives, d’actions multiples dispersées dans la société civile et qui sont ignorées par les structures politiques et administratives sclérosées.

Les grands mouvements de transformation commencent toujours de façon marginale, déviante, modeste, voire invisible. Il en a été ainsi des religions, de Bouddha, Jésus, Mahomet, du capitalisme, de la science moderne, du socialisme. Aujourd’hui l’alter-mondisme devient un terme à prendre à la lettre : l’aspiration à un autre monde.

Des centaines de propositions ont vu le jour, cela ne suffit pas à en faire un projet sociétal cohérent, alternatif, réaliste et visionnaire. C’est ce « supplément d’âme » que nous proposons avec les « 7 réformes fondatrices » d’une « Voie nouvelle ».

À cette fin, 7 orientations principales sont proposées : la réforme politique, politique de l’humanité et de civilisation ; réformes économiques ; réformes sociales ; réforme de la pensée ; réforme de l’éducation ; réforme de vie ; réforme morale.


1 - La réforme politique : politique de l’humanité et de civilisation

La voie en a été tracée par des travaux successifs pour régénérer la pensée politique[1].

Il y a plus de 40 ans Edgar Morin constatait la crise de la politique à tous les échelons. La politique en miettes trahissait la difficulté, l’échec dans la gestation d’une politique de tout l’être humain, ou anthropolitique. C’est ce dernier concept majeur qui sera développé et enrichi dans des œuvres successives[2].

Aujourd’hui, avec la mondialisation, la crise politique est à la fois plus profonde et généralisée, elle touche tous les niveaux et conduit à veiller à penser en permanence et simultanément planétaire, continental, national et local.

La politique de l’humanité est planétaire et « la terre-patrie » est l’héritière concrète des internationalismes, encore en germe au sein de l’alter-mondialisme.

Il s’agit de sauvegarder indissolublement l’unité et la diversité humaine. Le trésor de l’unité humaine est la diversité, le trésor de la diversité est l’unité. Il s’ensuit la nécessité d’institutions planétaires pour la sauvegarde de l’humanité, compétentes pour traiter les problèmes vitaux et mortels de la biosphère, de l’économie, des inégalités sociales, de l’infériorité du statut de la femme, des armes de destruction massive.

Dans le monde global, le développement d’une conscience planétaire est la dimension du défi, et est inséparable de celle du destin commun de l’humanité. Cette conscience entière, encore embryonnaire, sera la condition de la réforme de l’ONU, instance d’une société-monde dotée d’un système juridique, d’une gouvernance, d’un horizon de démocratisation, de solidarité, de fraternité. À son tour l’institution rétroagira positivement sur le développement de la conscience planétaire.

C’est aussi à l’échelle globale qu’il convient de revenir sur l’idée de développement qui est devenu le leitmotiv de tous les discours politiques. Il faut dépasser cette notion ou développer l’idée elle-même.

Sa carence tient à son noyau exclusif technico-économique fondé sur le seul calcul. Le développement technico-économique est conçu comme la locomotive qui doit forcément entraîner démocratie et vie meilleure. La réalité est plus ambivalente. C’est aussi la destruction des solidarités traditionnelles, l’exacerbation des égoïsmes, et, finalement, l’ignorance des contextes humains et culturels. En effet, le développement tel qu’il est pratiqué s’applique de façon indifférenciée à des sociétés et cultures très diverses, sans tenir compte de leurs singularités, de leurs savoirs, savoir-faire, arts de vivre, y compris chez les peuples que l’on réduit à une vision analphabétisme alors qu’on en ignore les richesses de leurs cultures orales traditionnelles.

Le développement repensé doit respecter les cultures et intégrer ce qu’il y a de valable dans l’idée actuelle de développement, mais pour le concevoir dans les contextes singuliers de chaque culture ou nation.

La politique de réforme de la civilisation concerne toutes les parties du monde occidentalisé. Elle s’exercerait contre les effets négatifs croissants du « développement » de notre civilisation occidentale, viserait à restaurer les solidarités, re-humaniser les villes, revitaliser les campagnes. Elle renverserait l’hégémonie du quantitatif au profit de celle du qualitatif, de la qualité de la vie, « moins mais mieux », contribuerait à la réforme de vie.

Elle reconsidérerait nécessairement la notion de croissance, dépassant l’alternative croissance/décroissance, elle prendrait en compte ce qui doit croître ou décroître, ce qui doit demeurer stationnaire, au terme d’une réflexion plus complexe que la croissance à tout prix.

Une telle réforme, de portée planétaire pourrait et devrait être entreprise à l’échelle d’une nation, exemple pour son extension à l’échelle continentale. L’Union Européenne et l’Amérique Latine paraissent plus mûres pour s’engager dans cette nouvelle voie.


2 - les réformes économiques

La débâcle financière, la récession économique, les plans de sauvetage du crédit, condition permissive du capitalisme, la protection par l’Etat d’industries entières comme l’automobile, la relance de dépenses d’infrastructure, conduisent les dirigeants d’un monde désormais pleinement capitaliste à essayer de le remettre sous contrôle, à placer « un pilote dans l’avion ». Simultanément à notre réunion et cet appel, le G20 se réunit. Nous verrons ce qu’il en sort. Nous verrons s’il s’agit d’un jeu à somme nulle, chacun protégeant son économie et se gardant que les partenaires en bénéficient.

Les victimes de la crise ne sont pas les banquiers, ni les riches, mais les gens pauvres des pays riches et les pauvres des pays pauvres. La récession crée du chômage, mais elle est aussi prétexte à licenciements pour, dans le cadre d’une compétition féroce, réduire les dépenses salariales afin d’assurer les profits. Les dirigeants du monde ne sont pas frappés subitement par la grâce de la nuit française du 4 août 1789 et l’abolition des privilèges, la plupart d’entre eux en sont les défenseurs. Il faut donc, en plus de la contrainte du sauvetage du système, la poussée des forces sociales dispersées dans le monde, pour donner un sens aux mesures et ouvrir une nouvelle voie, établir une institution permanente, sorte de conseil de la sécurité économique, chargé des régulations de l’économie planétaire et du contrôle des spéculations financières.

La sortie du modèle énergétique actuel est le grand chantier du siècle. Il n’est plus durable, non seulement en raison de l’épuisement, un jour ou l’autre, des ressources pétrolières, mais de la détérioration de l’environnement, du changement climatique dont il est vraisemblablement une des causes. On ne sous-estime pas le mouvement de recherche et développement d’amélioration des rendements énergétiques et des énergies renouvelables, mais le principal tient à la réforme du modèle de développement et à celle du mode de vie.

Il faudra faire face aussi à un autre défi mondial : nourrir l’humanité. Bien que le boom démographique se soit atténué, il n’en demeurera pas moins que dans 50 ans il y aura -sauf pandémie mondiale- 9 milliards d’êtres à nourrir. Les superficies cultivables n’étant pas extensibles, il faudra augmenter les rendements des terres. Comment ? Par l’utilisation massive des engrais et pesticides, dont on mesure les dégâts dans les pays qui ont industrialisé leur agriculture ? L’irrigation, qui consomme la plus grande part de l’eau, qui, par ailleurs, devient une ressource rare ? Par la modification génétique des organismes, avec les interrogations redoutables pour l’environnement et la mise en tutelle des paysans par les monopoles ?

Politiques de l’énergie et de la faim peuvent être en opposition. Celle des biocarburants à partir de produits agricoles signifie que la priorité est donnée, implicitement, au modèle de consommation actuel de l’énergie, et que le reste compte moins.

Il faudra que la communauté internationale fasse des choix clairs.

Quel autre modèle est envisageable ?

D’abord par un New Deal de grands programmes collectifs à l’échelle de l’humanité. Ces grands programmes mondiaux devraient être complétés par des programmes continentaux et nationaux

Le dégagement de la tyrannie des marchés internationaux requiert localement l’essor d’une économie plurielle. Des initiatives sont en cours, par exemple la création et l’extension des mutuelles, des coopératives de production et de distribution, les coopératives de femmes en Afrique et en Asie, le commerce de proximité de l’alimentation, le commerce équitable, des entreprises citoyennes, l’agriculture fermière et biologique, le micro-crédit, voire des monnaies locales. Toutes ces actions, au raz du sol, nées dans le système et à cause de lui, sont autant de chrysalides de la métamorphose


3 - Réformes sociales

Le monde crie d’inégalités et d’injustices. Les idéaux libertaires, socialistes, communistes, ont historiquement combattu celles-ci. De nouveau l’internationalisme, mais planétaire cette fois, est à l’ordre du jour. La pauvreté continue à frapper une grande partie de la population du globe, alors que jamais les disponibilités scientifiques, techniques n’ont été aussi grandes. Les inégalités s’expriment grossièrement par les inégalités du PIB entre nations et par personne.

Le rêve ancien de l’utopie égalitaire, par exemple, un revenu universel d’existence, reste une visée qui n’est pas celle des institutions internationales actuelles. Les différenciations ont grandi avec la mondialisation. Le Tiers-Monde des années 60 a volé en éclats. L’économie pétrolière a donné une rente de situation aux pays du Golfe, qui ont fait appel à des migrants, corvéables et rejetables. La Chine, virée au capitalisme sauvage, réalise l’accumulation primitive sur le dos des masses paysannes. Sa percée industrielle pour les biens manufacturés, si elle permet, heureusement, des progrès du niveau de vie interne, a pour contre partie la suppression d’emplois ailleurs et une pression sur les salaires des pays développés. Le problème est devenu la répartition du profit à l’échelle mondiale. Comment permettre la progression du niveau de vie dans les pvd sans altérer celui des pays développés et résorber les inégalités partout ? Comment faire converger des forces sociales défendant leurs revendications nationales dans un ensemble plus vaste dominé par les firmes multinationales ?

Nous pourrions en Europe fournir de premières réponses. L’harmonisation salariale « vers le haut » est le combat à venir, car il est clair que le capital tentera de faire supporter le poids de la crise à ses salariés. L’harmonisation de la protection sociale, et celle de la fiscalité, sont d’autres chantiers.

Qu’en est-il aussi de la retraite des personnes âgées. Fort heureusement l’espérance de vie a augmenté suite aux progrès de la médecine et de l’hygiène. Mais cette prolongation est très inégale entre, par exemple Haïti et le Japon, et en France entre cadres supérieurs et ouvriers. La conséquence de l’allongement de la vie c’est le vieillissement de la population, et avec elle, partout, la difficulté du financement des retraites et de la protection sociale. Vaste question qui ne peut-être reportée en attendant l’hypothétique retour de la croissance et qui met à l’épreuve la solidarité intergénérationnelle. Des normes mondiales, là encore, seraient en phase avec le problème sociétal.

Les réformes économiques et sociales sont en relation récursive. Les choix dans la division internationale du travail déterminent les choix sociaux et réciproquement. Ils doivent être traités de pair en anticipant leurs conséquences, y compris leurs impacts géopolitiques.


4 - réforme de la pensée

Il est difficile de penser le présent de la crise planétaire et ses perspectives. D’autant que la vitesse des transformations et la mondialisation qui agissent sur toutes les sphères brouillent les représentations. La complexité de la situation donne le vertige et conduit la plupart d’entre nous à un sentiment d’effroi et d’impuissance qui amènent à renoncer à sa compréhension et à l’action.

La compréhension du monde est impossible avec le morcellement actuel de la pensée. L’enfermement disciplinaire rend inapte à percevoir et concevoir les problèmes fondamentaux et globaux, d’où la nécessité d’une pensée complexe qui puisse relier les connaissances, les parties au tout, le tout aux parties, et qui puisse concevoir la relation du global au local et du local au global. Nos modes de pensée doivent intégrer un va-et-vient constant entre ces niveaux.

Pour dominer la complexité du monde, le système de pensée doit être complexe.

Si nos esprits restent dominés par une façon mutilée, incapable de saisir les réalités dans leur complexité et dans leur globalité, si la pensée philosophique reste enfermée dans des jeux de dentelle, alors nous allons vers des catastrophes. Seule une pensée apte à saisir la complexité non seulement de nos vies, destins, de la relation individu-société-espèce, mais aussi celle de l’ère planétaire, peut opérer le diagnostic de la course de la planète vers l’abîme, et définir les orientations qui permettraient de donner un fil directeur aux réformes primordiales.

En bref, seule une pensée complexe peut nous armer pour préparer la métamorphose globale, sociale, individuelle et anthropologique.


5 - Réforme de l’éducation

Elle est peut-être la condition permissive de tout le reste.

L’éducation forme un guide d’existence, individuel et collectif, un modèle qui se transmet entre générations. C’est un système de puissance lourde, à inertie et temps long. C’est pourquoi elle est au cœur de l’évolution des sociétés.

La transmission de connaissances ne met pas à l’abri des erreurs et illusions qui parasitent l’esprit humain. Il s’agit d’armer chaque esprit dans le combat vital pour la lucidité. Il est donc nécessaire d’introduire et de développer dans l’enseignement l’étude des caractères cérébraux, mentaux, culturels, des processus et modalités des connaissances, des dispositions tant psychiques que culturelles. Cette remarque préalable soulève le problème de l’adéquation de l’éducation actuelle et de son contenant.

Les principes d’une connaissance pertinente sont les suivants : promouvoir une connaissance capable de saisir les problèmes globaux et fondamentaux pour y inscrire les connaissances partielles et locales ; enseigner la condition humaine ; expliquer l’identité terrienne ; éveiller à la compréhension de l’autre. Partant de ceux-ci il faut bâtir de nouveaux curricula.

L'enseignement doit contribuer, non seulement à une prise de conscience de la trinité individu-espèce-société, et ce qu’elle implique comme comportement vis-à-vis des autres et de la nature, avec notre Terre-Patrie, mais aussi permettre que cette conscience se traduise en une volonté de réaliser la citoyenneté terrienne.


6 - La réforme de vie

C’est le problème concret sur lequel devraient converger toutes les autres réformes.

Nos vies sont dégradées et polluées par l’état monstrueux des relations entre les humains, individus, peuples, par l’incompréhension généralisée d’autrui, par le prosaïsme de l’existence consacrée aux taches obligatoires que ne donnent pas de satisfaction, et qui déferlent à présent dans le monde entier, par opposition à la poésie de l’existence qui est congénitale à l’amour, l’amitié, la communion, le jeu.

La recherche d’un art de vivre est un problème très ancien abordé par les traditions de sagesse des différentes civilisations et en occident par la philosophie grecque. La réforme de vie vise à régénérer l'art de vivre en art de vivre poétiquement. Elle se présente de manière particulière dans notre civilisation occidentale caractérisée par l'industrialisation, l'urbanisation, la recherche du profit, la suprématie donnée au quantitatif… Civilisation qui régit aujourd’hui sur la planète apportant non seulement ses indéniables vertus mais aussi ses moins indéniables vices et dégradations qui se sont révélées dans le monde occidental d'abord et qui déferlent à présent dans le monde entier.

L’homme vit aujourd’hui dans une « Technosphère ». Et il en fait partie intégrante. Malgré l’essor récent des biotechnologies, c’est la civilisation mécanique qui domine depuis la révolution industrielle du 20 e siècle, et dont la robotisation constitue le point dominant. Le chronomètre est le maître, et, avec lui, les cadences de travail, la réduction des temps alloués et le stress, les flux tendus dans l’entreprise, contraintes de la compétitivité et du profit à court terme. Les nouvelles technologies de l’information, potentiellement libératoires de la communication personnelle, deviennent une tyrannie avec le téléphone portable, la perte de liberté qui s’ensuit quand tout individu peut-être suivi voire traqué n’importe où. Ainsi, la combinaison de l’évolution de la civilisation industrielle sous l’emprise des nouvelles technologies, des nouvelles conditions du travail et du profit, provoque une mutation par rapport au temps, l’urgence se transforme en instantanéité. Le culte de l’urgence conduit à une société malade du temps, et qui perd le temps de vivre. Elle se défend en revendiquant du temps libre.

La société en devient consciente et réagit avec les moyens dont elle dispose. L’aspiration à « une vraie vie » se manifeste sous la forme d’antidotes au mal-être physique, moral et spirituel par le recours aux psychiatres, psychanalystes, aux psychotropes, addictions et drogues diverses. Elle se tourne aussi vers la religion, l’occultisme, pour satisfaire ses besoins spirituels étouffés dans une civilisation vouée aux besoins matériels, à l’efficacité et à la puissance.

La réforme de vie doit nous conduire à vivre les qualités de la vie, à retrouver un sens esthétique, à travers l'art bien sûr mais également dans la relation à la nature, dans la relation au corps, et à revoir nos relations les uns aux autres, à nous inscrire dans des communautés sans perdre notre autonomie. C'est le thème de la convivialité évoqué par Illich dans les années 70. Il existe aujourd'hui, un peu partout, des germes de cette réforme. Ils apparaissent à travers l’aspiration à une autre vie, le renoncement à une vie lucrative pour une vie d’épanouissement, les choix de vie visant à mieux vivre avec soi-même et autrui, ainsi que dans une recherche d’accord avec soi-même et le monde. Cette aspiration à vivre "autrement" se manifeste de façons multiples et l'on assiste à des recherches tâtonnantes, un peu partout recherche de la poésie de la vie, amours, fêtes, copains, raves parties. Si on considère ensemble ces éléments qui, séparément, semblent insignifiants, il est possible de montrer que la réforme de vie est inscrite dans les possibilités de notre civilisation. Le dénominateur commun en est : la qualité prime sur la quantité, le besoin d’autonomie est lié aux besoins de communauté, la poésie de l’amour est notre vérité suprême.

La prise de conscience que « la réforme de la vie » est une des aspirations fondamentales dans nos sociétés est un levier qui peut puissamment nous aider à ouvrir la Voie.


7 - La réforme morale

Barbarie de nos vies ! Nous ne sommes pas intérieurement civilisés. La possessivité, la jalousie, l’incompréhension, le mépris, la haine, l’aveuglement sur soi-même et sur autrui sont notre quotidien. Que d’enfers domestiques sont les microcosmes de l’enfer plus vaste des relations humaines.

Nous retombons là sur une préoccupation très ancienne puisque les principes moraux sont présents tant dans les grandes religions universalistes que dans la morale laïque. Mais les religions qui ont prôné l’amour du prochain ont déchaîné des haines épouvantables, et rien n’a été plus cruel que ces religions d’amour.

Il semble donc évident que la morale mérite d’être repensée et qu’une réforme doit l’inscrire dans le vif du sujet. La réforme morale nécessite, d’abord, l’intégration, dans sa propre conscience et sa propre personnalité, d’un principe d’auto-examen permanent, car, sans le savoir, nous nous mentons à nous-mêmes, nous nous dupons sans cesse.

Si on définit le sujet humain comme un être vivant capable de dire « je », autrement dit d’occuper une position qui le met au centre de son monde, il s’avère que chacun de nous porte en lui un principe d’exclusion (personne ne peut dire «je » à ma place). Ce principe agit comme un logiciel d’auto-affirmation égocentrique, qui donne priorité à soi sur toute autre personne ou considération et favorise les égoïsmes. Dans le même temps, le sujet porte en lui un principe d’inclusion qui nous donne la possibilité de nous inclure dans une relation avec autrui, avec les « nôtres » (famille, amis, patrie), et qui apparaît dès la naissance où l’enfant ressent un besoin vital d’attachement. Ce principe est un quasi logiciel d’intégration dans un nous, et il subordonne le sujet, parfois jusqu’au sacrifice de sa vie. L’être humain est caractérisé par ce double principe, un quasi double logiciel : l’un pousse à l’égocentrisme, à sacrifier les autres à soi ; l’autre pousse à l’altruisme, à l’amitié, à l’amour... Tout, dans notre civilisation, tend à favoriser le logiciel égocentrique. Le logiciel altruiste et solidaire est partout présent, inhibé et dormant, et il peut se réveiller. C’est donc ce logiciel qui doit être développé.

Il faut donc concevoir également une éthique à trois directions, en vertu de la trinité humaine : Individu-société-espèce, les trois en interrelations permanentes.

Dans ce sens, l'éthique individu-espèce nécessite un contrôle mutuel de la société par l'individu et de l'individu par la société, c'est-à-dire la démocratie; et au xxie siècle la solidarité terrestre.

L'éthique doit se former dans les esprits à partir de la conscience que l'humain est à la fois individu, partie d'une société, partie d'une espèce. Nous portons en chacun de nous cette triple réalité. Aussi, tout développement vraiment humain doit-il comporter le développement conjoint des autonomies individuelles, des participations communautaires et de la conscience d'appartenir à l'espèce humaine.

À partir de cela s'esquissent les deux grandes finalités éthico-politiques du nouveau millénaire : établir une relation de contrôle mutuel entre la société et les individus par la démocratie, accomplir l'Humanité comme communauté planétaire.


En conclusion : limites et possibilités

Les réformes sont interdépendantes. Les réformes morale, de la pensée, de l’éducation, de civilisation, de la politique, celle de la réforme de vie s’entr’appellent les unes les autres. Par là même leurs développements créeraient une synergie, une dynamique nouvelle qui serait plus que leur somme.

Ceci est une énorme potentialité, mais nous devons aussi être conscients de leur limite. Homo est non seulement sapiens, faber, economicus, mais aussi demens mythologicus, ludens… On ne pourra jamais éliminer la capacité délirante, on ne pourra jamais rationaliser l’existence (ce qui serait au demeurant, la normaliser, la standardiser, la mécaniser…) On ne pourra jamais réaliser l’utopie de l’harmonie permanente, du bonheur assuré.

Ce qu’on peut espérer c’est non plus le meilleur des mondes, mais un monde meilleur.

Revenons au point de départ : nous allons vers l’abîme. Mais il y a des milliards de chrysalides végétales, animales, humaines qui sont en métamorphose. Ce sont des forces immenses potentielles mais conditionnées à leur environnement. Concernant l’humanité des forces, encore virtuelles pour l’essentiel, doivent se mobiliser. L’abîme comme la métamorphose ne sont pas fatals.

La Voie des sept réformes proposée ici nous semble la seule susceptible de régénérer assez le monde pour faire advenir la métamorphose, pour un monde meilleur.

En faire une réalité suppose la mobilisation de tous ceux qui y aspirent, en un véritable Mouvement pour la Métamorphose du Monde.


Edgar Morin, philosophe, sociologue


Pierre F. Gonod, prospectiviste, politologue


Paskua, artiste plasticien



Aurélien
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vendredi 20 mars 2009

Les dangers de la ruée vers l'ORE

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Avec moins de grévistes mais plus de monde dans les rues que le 29 janvier dernier, la colère populaire ne faiblit pas, au contraire. Feignant d'entendre et de comprendre la rue, l'UMP s'invente une polémique interne sur un éventuel aménagement symbolique du bouclier fiscal qui , comme chacun sait déjà, n'aura jamais lieu. De leur côté les partenaires sociaux, dans leurs revendications sur l'emploi et le pouvoir d'achat notamment, restent concentrés et se montrent déterminés à faire reculer Nicolas Sarkozy. Un grand mouvement social a eu lieu hier.


Les critiques pleuvent sur la politique économique et sociale du Président de la République, avec pour cible principale la loi TEPA qui englobe le bouclier fiscal et la réforme sur les heures supplémentaires. Il me semble que dans toute cette agitation une mesure, votée par le parlement en juillet 2008, est oubliée. Elle risque pourtant de causer d'énormes dégâts en terme de pouvoir d'achat et de relance économique dans les mois à venir ; il s'agit de l'offre raisonnable d'emploi, ou ORE.

Répondant à une promesse de campagne, lancée dans un contexte de croissance, de baisse du chômage et d'une ambition illusoire de plein emploi, cette mesure qui me paraissait déjà injuste il y a 10 mois s'avère socialement dangereuse aujourd'hui, alors que les prévisions de l'INSEE en matière d'emploi et de récession sont, c'est un euphémisme, pessimistes.

Selon ces chiffres de l'INSEE, on pourrait comptabiliser 2,6 millions de chômeurs en juin prochain. À ce rythme le seuil symbolique et inquiétant des 3 millions de chômeurs pourrait être atteint avant la fin de l'année. Personne ne voyant un début de fin crise à l'horizon, on peut tabler sans trop de risques sur le fait que bon nombre de ces chômeurs ne retrouveront pas d'emploi pendant de longs mois. D'ailleurs, avant la crise déjà, l'OCDE estimait la durée moyenne du chômage en France autour de 14 mois.

Que dit le texte sur l'offre raisonnable d'emploi? Qu'au fil des mois de chômage le demandeur d'emploi est obligé d'accepter des offres selon des critères de moins en moins exigeants, notamment en ce qui concerne la rémunération:

Le salaire de l’emploi proposé doit représenter au moins 95% du salaire antérieur après trois mois de chômage, au moins 85% après 6 mois, au moins le montant de l’allocation perçue après un an. Il ne peut être inférieur au salaire normalement pratiqué dans la région et dans le domaine d’activité et ne peut contrevenir aux règles législatives et réglementaires relatives au salaire minimum ; après un an sans emploi, le chômeur sera obligé d’accepter tout emploi rémunéré "à hauteur du revenu de remplacement " versé par les Assedic, ou par l’Etat (Allocation spécifique de solidarité) s’il est en fin de droits.

Autrement dit, à l'heure de la reprise des millions de personnes seront dans l'obligation d'accepter des salaires inférieurs de 15% à 25% - dans le meilleur des cas! - à ceux qu'ils percevaient avant de perdre leur emploi précédent.

Pour les grands patrons comme Serge Dassault, je me doute que c'est plutôt une bonne nouvelle de voir le coût de la main d'œuvre ainsi diminuer. C'est d'ailleurs à se demander si les grands dirigeants qui siègent simultanément aux conseils d'administration des grand groupes (Total, Renault, Veolia, L'Oréal...) et des grandes banques (BNP, Société Générale...) qui rechignent à accorder des prêts aux PME/PMI, ne profitent pas de la crise pour dégraisser allègrement, et pousser leurs sous-traitants et fournisseurs à faire de même, afin de maximiser cet effet négatif de l'ORE sur les salaires... J'aimerais poser la question à Laurence Parisot, elle qui dirige le MEDEF tout en siégeant au gouvernement d'entreprise de la BNP et de Michelin...

Quelles pourraient être les conséquences après la crise?

Le pouvoir d'achat en aura pris un sérieux coup, et ce à tous les niveaux de salaires du smicard au cadre. L'activité, déjà au point mort, ne pourra pas vivre une relance par la consommation. L'endettement des ménages ne pourra qu'augmenter, de même pour l'endettement national puisque les recettes fiscales diminueront tandis que les prestations sociales, elles, ne feront que s'accroître. Autant d'éléments qui feront que la sortie de crise économique sera illusoire et aggravera encore la crise sociale.

Ainsi, alors que tout le monde braque les projecteurs sur le bouclier fiscal en espérant un geste aussi symbolique qu'improbable du Chef de l'État, c'est peut-être une mesure moins symbolique mais qui s'annonce catastrophique qu'il faudrait remettre en question. Il y a urgence.


Aurélien
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jeudi 19 mars 2009

Les bandes à Sarko

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Voici une phrase prononcée hier par Nicolas Sarkozy dans un discours, prononcé à Gagny en Seine-Saint-Denis, sur le thème de la lutte contre les bandes et les violences. L'objet de ce discours était d'annoncer un durcissement des moyens de répression contre les violences perpétuées par les bandes issues des quartiers dits sensibles, estimées à plus de 200 dans toute la France.

Je suis résolu à ne pas laisser le dernier mot à ces délinquants. Puisqu’ils profitent d’une carence de la loi, il faut y porter remède. J'ai demandé au Garde des Sceaux de changer la loi.
Il faut doter notre code pénal d’une disposition qui réprimera de 3 ans d’emprisonnement le fait de faire partie, en connaissance de cause, d’un groupement, même formé de façon temporaire, poursuivant le but de commettre des atteintes volontaires contre les personnes ou contre certains biens.


Évidemment les violences gratuites contre des biens et des personnes doivent être sévèrement sanctionnées. Bien sûr, lorsque les victimes sont des représentants de l'État la sanction doit être alourdie. Certes, l'École comme les premiers répondants que sont le SAMU, les pompiers et la police doivent être protégés. Mais une telle inflation répressive sans aucune contrepartie préventive revient à jeter de l'huile sur le feu, à couvrir la marmite et laisser la pression monter.

D'autant plus lorsque le Président de la République juge pertinent de déclarer:

Je n’accepte pas la logique de l’excuse et de la victimisation des auteurs de tels actes. Le refrain est hélas bien connu : ces jeunes expriment leur révolte contre une société française qui les rejette et les exclut. Ce discours, nous l’avons trop entendu.

Sans aller jusqu'à rentrer dans le jeu de la victimisation des délinquants, on ne peut pas balayer d'un revers aussi sec tout ce qui peut expliquer, et non légitimer, le recours à la violence. Il n'est pas raisonnable d'ignorer en amont les ressentiments d'une frange explosive de la population pour se contenter d'agir en aval. À aucun moment le Président n'a mentionné le plan Espoirs Banlieues de Fadela Amara, Secrétaire d'État à la Politique de la Ville, qui n'était d'ailleurs même pas du déplacement.

Le but était donc clairement de faire les gros yeux et de montrer les muscles élyséens pour prétendre endiguer un problème grave que les responsables de la sécurité de ce pays n'ont su ni prévenir ni contenir. Au passage, que ce soit en tant qu'omni-président ou Ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy a été en charge de la sécurité pendant 6 des 7 dernières années... Pendant tout ce temps aux commandes, quel effort a-t-il fourni pour simplement comprendre le quotidien de ces jeunes et ouvrir des pistes pour limiter en amont les risques d'embrigadement dans des bandes? Non seulement l'heure est au bilan plus qu'aux annonces, et on comprend que l'Élysée préfère éviter le sujet, mais le fil communicant est usé.

C'est systématique. Au moindre fait divers - pas forcément violent d'ailleurs - on réagit par ce qu'il convient d'appeler une hystérie sécuritaire, et uniquement comme cela. Un fou s'échappe et tue quelqu'un? Qu'on enferme tous les fous! Un anarchiste est soupçonné d'avoir endommagé une ligne SNCF et retardé un TGV? Qu'on l'enferme, sans preuve, pour acte terroriste. Quelqu'un insulte le Président? 3 mois ferme! Un collaborateur de l'Élysée touche le jackpot sur un conflit d'intérêts aussi flagrant qu'illégal? Qu'on le... Ah... oui... non, mais là c'est pas pareil.

Revenons au discours de Gagny... Tout le long de son allocution Nicolas Sarkozy parle des "bandes" des cités. Elles sont le nouvel ennemi porteur des pires violences, un ennemi sans visage, méconnu du grand public - modelable à souhait donc... - et effrayant ; le karcher a ciblé sa racaille. Pourtant, lorsqu'il annonce, dans la phrase citée ci-haut, des sanctions pénales, il ne parle pas de bande mais plus largement de "groupement". Il ne souhaite pas condamner seulement la violence mais le simple fait d'être membre en connaissance de cause d'un de ces "groupements" ayant pour but des atteintes contre les personnes et certains (pourquoi pas tous?) biens. Et qu'entend-il par "même de façon temporaire"?

Avec l'abaissement de la responsabilité pénale à 12 ans, la moitié des membres des bandes étant mineurs, c'est au bat mot 2 500 jeunes de 12 à 17 ans qui pourraient être condamnés à 3 ans de prison ferme pour avoir simplement fait partie d'une bande violente. Que l'adolescent, d'un âge influençable s'il en est, n'ait pas participé activement aux violences n'y changerait rien, que la bande en soit resté au stade intentionnel n'atténuerait pas la charge ; 3 ans ferme.

Si une telle loi existait avec effet rétroactif, José Bové serait passible d'une telle peine, Noël Mamère aussi, tout comme évidemment le groupe de Tarnac dans son ensemble. Mieux, si la rétroactivité couvrait les 50 dernières années, Patrick Devedjian et Hervé Novelli, deux membres du présent gouvernement, pourraient être condamnés à 3 ans de prison ferme pour avoir été membres du mouvement d'extrême droite Occident. J'attends avec impatience qu'un journaliste les interroge en ces termes sur leur appréciation d'une telle modification du code pénal: est-ce qu'ils jugent que leur simple appartenance à Occident - et ils étaient majeurs - méritait 3 ans de prison ferme?

Je m'étonne, et m'inquiète, de l'annonce d'une mesure pénale au champ d'application aussi vaste et flou sous prétexte du phénomène si spécifique que représentent les bandes des cités. Peut-être que l'on veut à tout prix éviter un vide juridique, mais cela ressemble à s'y méprendre à une législation de type anti-terroriste... on ratisse large et on hésite à peine à bafouer des principes élémentaires du droit comme la présomption d'innocence. De quoi tuer dans l'œuf les velléités révolutionnaires qui parfois germent en période de crise sociale, par exemple.

La date du discours, la veille d'un mouvement social d'ampleur, n'est d'ailleurs certainement pas fortuite. C'est à se demander si, alors que convergent les revendications de millions de français vis à vis de l'État, l'Élysée n'espère pas que la violence explose quelque part pour relancer sa stratégie de division et d'opposition des français les uns contre les autres.


Aurélien
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Les Jeudis d'Edgar - 21 - Sparsa colligo

Chaque jeudi (ou presque...) je viens vous présenter un échantillon de l'œuvre et de la pensée d'Edgar Morin. Je souhaite ainsi, en rapprochant à ma modeste mesure ses idées de la politique en général et du MoDem en particulier, nourrir les débats qui prendront place pour définir, et éventuellement mettre en application, ce nouveau modèle de société que des millions de français ont appelé de leurs vœux en mai 2007.

Voici un entretien accordé par Edgar Morin au journal Le Monde concernant son implication concrète dans la promotion de la complexité dans le monde universitaire et même au-delà.


Notre mission est d'ouvrir les fenêtres du savoir universitaire

Edgar Morin est sociologue et directeur de recherches émérite du CNRS. Depuis la création du Prix Le Monde de la recherche universitaire, en 1997, il en préside le jury.

Pour quelles raisons parrainez-vous ce prix ?

Les connaissances acquises dans les thèses sont archivées, compartimentées, quasi endormies parce qu'écartées de la circulation des savoirs. Il faut donc les faire connaître au plus grand nombre. Il y a une seconde raison, capitale, qui tient au problème même de la connaissance. La tendance encore dominante à l'université est d'enfermer le thésard non seulement dans un cadre disciplinaire strict, mais aussi dans un domaine très étroit à explorer de façon exhaustive.

A la limite, comme disait Raymond Aron, l'idéal d'une thèse est de savoir tout sur rien. Cela est une des insuffisances de notre système éducatif. Le développement des connaissances à partir des disciplines est nécessaire, à condition que ces connaissances ne soient pas claquemurées... Notre enseignement nous éduque fort bien à séparer, mais non à relier. Il faudrait, non juxtaposer les savoirs, mais les articuler les uns aux autres. C'est le problème central auquel je me suis attaché en élaborant une méthode apte à répondre aux défis de la complexité (complexus: ce qui est tissé ensemble). Ma devise "sparsa colligo" (je réunis le dispersé) a inspiré mes travaux.

En quel sens le Prix "Le Monde" de la recherche s'inscrit-il dans cette réforme de la pensée que vous prônez ?

Les problèmes fondamentaux et/ou globaux que nous devons affronter en tant qu'individus et citoyens nécessitent l'association de savoirs divers en une connaissance complexe. Rousseau disait de son élève : "je veux lui apprendre à vivre". La mission de l'université serait d'aider les étudiants à affronter les problèmes de leur vie individuelle, sociale et civique. Bertrand Russell disait : "Qu'est-ce qui fait qu'un enfant de 5 ans éveillé et curieux devient un adolescent stupide et ennuyeux."

Et il répondait : "Quinze années d'éducation britannique." Notre éducation ne produit pas des adolescents stupides et ennuyeux mais des adolescents insatisfaits, inquiets, tourmentés, désarmés. Mon intérêt pour le Prix de la recherche s'inscrit dans ces préoccupations.

Quel rôle assignez-vous aux thèses primées et publiées ? Est-ce celui d'éclairer notre modernité par la recherche contemporaine ?

Nous nous sommes donnés pour mission de favoriser les thèses dont le thème est important soit pour la connaissance en elle-même, soit pour l'époque actuelle, et qui méritent par là de s'inscrire dans notre patrimoine culturel, au lieu d'être livrées à "la critique rongeuse des souris", selon l'expression de Marx.

Comment les choisissez-vous ? Et quels conseils donneriez-vous aux candidats du prix ?

Nos sensibilités et nos intérêts se confrontent, mais nous avons chacun le sens de notre "mission" qui est d'ouvrir les fenêtres du savoir universitaire ; notre vrai problème est de départager des thèses intéressantes quand elles sont nombreuses, d'où parfois une certaine subjectivité dans nos choix. Mon conseil aux étudiants : "Ne faites que des thèses qui vous passionnent."

Quelle est la spécificité des thèses primées cette année ?

La majorité d'entre elles traitent des misères humaines, pas seulement matérielles, mais aussi psychiques et morales, qui s'accroissent dans notre civilisation. Elles complexifient un problème abusivement simplifié, comme celles sur le squat ou le handicap mental, qui montrent que des situations apparemment marginales posent des problèmes centraux.

La thèse sur les caissières éclaire la vie quotidienne au sein des grandes surfaces. La thèse sur l'inceste remet en question un "dogme" freudien. Toutes ces thèses sont d'inspiration humaniste, et nous aident à penser notre condition et notre civilisation.

Quelle est, selon vous, la véritable nature de la crise de l'université et de la recherche ?

Il y a plusieurs crises dans la crise de l'université et de la recherche. Je me suis concentré sur la crise de la connaissance. Nos systèmes d'éducation produisent des connaissances parcellaires qui, n'étant pas reliées les unes aux autres, nous rendent aveugles aux problèmes fondamentaux, y compris ceux de la crise de la connaissance.

Aussi la réforme de l'enseignement devrait comporter la réforme de la connaissance. Celle-ci a du reste commencé dans les sciences. Elle a suscité une conception complexe de la réalité microphysique et cosmologique. Elle a suscité l'association de disciplines, jusqu'alors séparées, dans les sciences de la Terre, l'écologie, la préhistoire. Ces nouvelles sciences nous mettent en face de notre situation dans le cosmos, dans la nature, dans la vie.

La réforme de l'université appelle un recentrage sur le nouvel esprit scientifique. Elle appelle, en une année propédeutique pour tous étudiants, l'introduction de thèmes vitaux : qu'est-ce que la connaissance, que sont ses risques d'erreur et d'illusion ? Qu'est-ce que l'humain ? Qu'est-ce que l'ère planétaire que nous vivons ? Qu'est-ce que la compréhension humaine et comment la développer ? Comment affronter les incertitudes ?

Quels risques menacent la recherche interdisciplinaire aujourd'hui ?

Depuis vingt ans, la direction du CNRS, de François Kourilsky à Catherine Bréchignac, incite à la polydisciplinarité et à l'affrontement des complexités. Mais la contre-réforme commande, même chez les jeunes chercheurs obsédés par la réussite dans l'enclos dont ils seraient les maîtres. Finalement ce qui est en danger, c'est la pensée. C'est par la tête que pourrit le poisson. On risque de crever par la tête.


Réunir le dispersé...

Aujourd'hui la dispersion atteint tous les niveaux. L'intelligence et la connaissance, comme le souligne Edgar Morin, mais aussi la société dans son ensemble, l'éthique, l'économie, la technologie... et bien sûr la politique.

Se disperser, c'est se séparer les uns des autres, partir vers des endroits différents, ne plus constituer un ensemble. C'est la divergence des intérêts particuliers au détriment de l'intérêt commun, de l'essentiel, c'est l'opposition, la division systématique entre des catégories d'individus qui pourtant n'ont pas d'autre choix que de vivre ensemble et d'interagir.

Se disperser, c'est se dissoudre, se désagréger, disparaître comme la France s'efface, au moins partiellement, de la scène internationale en réintégrant totalement l'OTAN, comme les libertés civiles que l'on gruge lentement mais sûrement, comme la démocratie que l'on pilonne allègrement à coups de conflits d'intérêts flagrants et de manquements à l'éthique la plus élémentaire, comme l'humain qui cède la priorité au profit.

Se disperser c'est, à l'image du Président de la République, ne pas pouvoir se concentrer sur un seul objet, s'abandonner à trop d'activités et ne s'appliquer efficacement à aucune, étaler ses propres certitudes sans compiler, et encore moins computer, les doutes. C'est être partout et nulle part.

La Pensée Complexe, c'est le mouvement tout à fait inverse. Il s'agit de rassembler, relier, faire communiquer, dialoguer, interagir... Aujourd'hui ce n'est plus une option, c'est une urgence. Plus que jamais: sparsa colligo.


Pour lire ou relire tous les épisodes des Jeudis d'Edgar, c'est par ici.


Aurélien
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