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Alors que Barack Obama vient de remporter l'investiture du Parti Démocrate pour l'élection présidentielle américaine de 2008, on voit fleurir dans la presse et la blogosphère nombre d'articles analysant, décortiquant, pronostiquant le duel annoncé, presque rêvé, qu'il devra livrer face à John McCain, candidat du Parti Républicain.
Ces deux partis politiques occupent, dans un affrontement qui dure depuis plus de 150 ans, 99,9% de l'espace politico-médiatique aux États-Unis, devenus un modèle du bipartisme. D'autres formations existent mais sans aucune chance d'obtenir des élus aux plus hauts postes parlementaires ou exécutifs. Tous les élus au congrès, tous les sénateurs et tous les gouverneurs sont issus du Parti Démocrate ou du Parti Républicain. Parmi les quelques partis dits indépendants, condamnés à l'isolement, on retrouve le Libertarian Party, le Green Party ou encore le Reform Party.
C'est à ce dernier que je veux m'intéresser, et plus particulièrement à son candidat pour cette élection: Ralph Nader (en V.O.). Le moins que l'on puisse dire, c'est que cet homme n'est pas un nouveau venu puisqu'il participe à sa cinquième campagne présidentielle. Une expérience considérable dont le fait d'arme le plus célèbre, même s'il est tout à fait discutable, est d'être tenu responsable de la défaite d'Al Gore en 2000. Il était alors candidat du Green Party et de nombreux observateurs politiques et sympathisants démocrates jugent encore que son retrait aurait certainement envoyé le vice-président de Bill Clinton à la Maison Blanche. Ceci acheva de l'isoler politiquement des républicains comme des démocrates, et de le réduire au rôle de troisième homme. Aux États-Unis, bien plus qu'en France, ce troisième rôle est en fait celui d'un figurant dont les scènes sont coupées au montage.
Tour à tour activiste politique, auteur, maître de conférence et avocat défendant les consommateurs*, il s'est toujours appliqué à défendre les intérêts de ses concitoyens dans un langage de vérité. Un langage qu'il tient aujourd'hui en tant que candidat et qui contraste avec celui de ses adversaires comme le noir contraste avec le blanc, la réalité avec le rêve américain. Ralph Nader porte des thèmes qui lui tiennent particulièrement à cœur: la lutte contre la corruption, le respect des institutions et de leur esprit, l'environnement ou encore le pluralisme et l'intégrité politiques. De quoi faire sourciller plus d'un sympathisant MoDem...
En plus de l'homme et de ses idées, il y a le contexte idéologique. En effet, Démocrates et Républicains convergent sur bon nombre de sujets. Les seuls différences qui subsistent (et encore...) concernent l'économie et le degré d'implication de l'État dans la vie des citoyens. Ces deux partis occupent pour ainsi dire un seul et même espace qui, bien que très étendu, évite systématiquement certains sujets pourtant essentiels en démocratie. C'est sur ces thèmes, cités plus haut, que Nader tente tant bien que mal de réveiller la conscience citoyenne de ses compatriotes.
Quant au contexte historique, les U.S.A. atteignent une fin de cycle. En novembre prochain ils sortiront d'une longue alternance Bush/Clinton qui dure depuis 20 ans. Si l'on comptabilise les vices présidences, ce cycle a démarré il y a 28 ans. Si Hillary Clinton rejoignait Barack Obama sur le ticket Démocrate, il pourrait même se prolonger 4 voire 8 ans de plus. La demande de changement est énorme. Après avoir réélu G.W. Bush par défaut en 2004, de nombreux américains espèrent autre chose que du déjà-vu.
Ajoutons à cela l'impopularité record du président sortant avec qui John McCain prétend incarner une rupture. Ajoutons un challenger désigné inédit et charismatique. Ajoutons encore un duel annoncé depuis des mois dans un contexte tendu et complexe, à l'interne comme à l'international. Ajoutons enfin la puissance d'Internet qui estompe les écarts entre les moyens financiers, jusqu'ici toujours décisifs, des divers candidats et sans doute avons-nous là réunies les conditions d'une surprise. Les mêmes conditions qui ont aidé l'émergence de François Bayrou en France. Comme pour confirmer cette intuition, un récent sondage crédite Ralph Nader de 6% des votes au niveau national. Sans aucune couverture médiatique digne de ce nom et dans l'immobilisme politique américain, c'est une réelle performance. 6%, c'est de ce score que Bayrou était parti en 2007...
De là à l'imaginer à 18% au mois de novembre il n'y a qu'un pas que je n'ose pas franchir. Le parallèle s'arrête ici, pour l'instant, pour trois raisons principales. Financièrement d'abord, l'écart entre les moyens de Ralph Nader et ceux des deux grosses écuries sont outrageusement plus importants qu'entre ceux de Bayrou contre Royal et Sarkozy. Ralph Nader part de beaucoup plus loin pour parcourir un chemin autrement plus accidenté, le paysage politique français étant encore loin du sempiternel bipartisme américain.
Politiquement ensuite, si Ralph Nader a une expérience énorme en politique, il n'a jamais occupé de poste important et n'est pas supporté par un parti politique historique, solidement ancré sur l'ensemble du territoire et dont un ancien chef fut un jour Président. Il ne peut s'appuyer sur aucune référence ni aucune équipe d'élus pour soutenir son projet.
Populairement enfin, cet immobilisme bipolaire que l'on retrouve dans la classe politique comme dans les médias - songez qu'à trois reprises les deux principaux candidats ne débattent qu'entre eux - se retrouve aussi dans les consciences des citoyens américains adeptes de ce que nous appelons en France le vote utile. Aux États-Unis, voter pour quelqu'un qui n'a aucune chance de remporter l'élection est une hérésie. Imaginent-ils seulement le vent de changement que pourrait signifier, dans un pays comme le leur, la performance d'un troisième candidat atteignant seulement un score de 10%? S'il pouvait ne serait-ce que prétendre pouvoir remporter un état?
Ceci reste très improbable mais n'est pas impossible. L'élément qui a largement contribué à l'émergence de François Bayrou, c'est Internet et le buzz créé autour de sa candidature. Pour Ralph Nader le buzz tarde à venir, mais tout peut aller si vite que le moindre frémissement pourrait créer une réaction en chaîne en terme de médiatisation et de financement. Pour François Bayrou tout, ou presque, avait débuté par cette interview fleuve du Politic'show. Ralph Nader a mis en ligne depuis trois semaines cet incroyable discours électrochoc. Et si tout partait de là? Et si, comme si souvent avec nos œuvres cinématographiques, les américains nous offraient un remake au scénario encore plus improbable que l'original?
Aurélien
*: En 1965 Ralph Nader sorti de l'anonymat en affrontant victorieusement l'industrie automobile américaine, et son fer de lance General Motors, concernant la sécurité des véhicules automobiles. Ce travail a forcé l'industrie à investir dans la sécurité et implanter des standards internationaux, ce qui en bout de ligne a certainement contribué à sauver des milliers de vies humaines.
Ces deux partis politiques occupent, dans un affrontement qui dure depuis plus de 150 ans, 99,9% de l'espace politico-médiatique aux États-Unis, devenus un modèle du bipartisme. D'autres formations existent mais sans aucune chance d'obtenir des élus aux plus hauts postes parlementaires ou exécutifs. Tous les élus au congrès, tous les sénateurs et tous les gouverneurs sont issus du Parti Démocrate ou du Parti Républicain. Parmi les quelques partis dits indépendants, condamnés à l'isolement, on retrouve le Libertarian Party, le Green Party ou encore le Reform Party.
C'est à ce dernier que je veux m'intéresser, et plus particulièrement à son candidat pour cette élection: Ralph Nader (en V.O.). Le moins que l'on puisse dire, c'est que cet homme n'est pas un nouveau venu puisqu'il participe à sa cinquième campagne présidentielle. Une expérience considérable dont le fait d'arme le plus célèbre, même s'il est tout à fait discutable, est d'être tenu responsable de la défaite d'Al Gore en 2000. Il était alors candidat du Green Party et de nombreux observateurs politiques et sympathisants démocrates jugent encore que son retrait aurait certainement envoyé le vice-président de Bill Clinton à la Maison Blanche. Ceci acheva de l'isoler politiquement des républicains comme des démocrates, et de le réduire au rôle de troisième homme. Aux États-Unis, bien plus qu'en France, ce troisième rôle est en fait celui d'un figurant dont les scènes sont coupées au montage.
Tour à tour activiste politique, auteur, maître de conférence et avocat défendant les consommateurs*, il s'est toujours appliqué à défendre les intérêts de ses concitoyens dans un langage de vérité. Un langage qu'il tient aujourd'hui en tant que candidat et qui contraste avec celui de ses adversaires comme le noir contraste avec le blanc, la réalité avec le rêve américain. Ralph Nader porte des thèmes qui lui tiennent particulièrement à cœur: la lutte contre la corruption, le respect des institutions et de leur esprit, l'environnement ou encore le pluralisme et l'intégrité politiques. De quoi faire sourciller plus d'un sympathisant MoDem...
En plus de l'homme et de ses idées, il y a le contexte idéologique. En effet, Démocrates et Républicains convergent sur bon nombre de sujets. Les seuls différences qui subsistent (et encore...) concernent l'économie et le degré d'implication de l'État dans la vie des citoyens. Ces deux partis occupent pour ainsi dire un seul et même espace qui, bien que très étendu, évite systématiquement certains sujets pourtant essentiels en démocratie. C'est sur ces thèmes, cités plus haut, que Nader tente tant bien que mal de réveiller la conscience citoyenne de ses compatriotes.
Quant au contexte historique, les U.S.A. atteignent une fin de cycle. En novembre prochain ils sortiront d'une longue alternance Bush/Clinton qui dure depuis 20 ans. Si l'on comptabilise les vices présidences, ce cycle a démarré il y a 28 ans. Si Hillary Clinton rejoignait Barack Obama sur le ticket Démocrate, il pourrait même se prolonger 4 voire 8 ans de plus. La demande de changement est énorme. Après avoir réélu G.W. Bush par défaut en 2004, de nombreux américains espèrent autre chose que du déjà-vu.
Ajoutons à cela l'impopularité record du président sortant avec qui John McCain prétend incarner une rupture. Ajoutons un challenger désigné inédit et charismatique. Ajoutons encore un duel annoncé depuis des mois dans un contexte tendu et complexe, à l'interne comme à l'international. Ajoutons enfin la puissance d'Internet qui estompe les écarts entre les moyens financiers, jusqu'ici toujours décisifs, des divers candidats et sans doute avons-nous là réunies les conditions d'une surprise. Les mêmes conditions qui ont aidé l'émergence de François Bayrou en France. Comme pour confirmer cette intuition, un récent sondage crédite Ralph Nader de 6% des votes au niveau national. Sans aucune couverture médiatique digne de ce nom et dans l'immobilisme politique américain, c'est une réelle performance. 6%, c'est de ce score que Bayrou était parti en 2007...
De là à l'imaginer à 18% au mois de novembre il n'y a qu'un pas que je n'ose pas franchir. Le parallèle s'arrête ici, pour l'instant, pour trois raisons principales. Financièrement d'abord, l'écart entre les moyens de Ralph Nader et ceux des deux grosses écuries sont outrageusement plus importants qu'entre ceux de Bayrou contre Royal et Sarkozy. Ralph Nader part de beaucoup plus loin pour parcourir un chemin autrement plus accidenté, le paysage politique français étant encore loin du sempiternel bipartisme américain.
Politiquement ensuite, si Ralph Nader a une expérience énorme en politique, il n'a jamais occupé de poste important et n'est pas supporté par un parti politique historique, solidement ancré sur l'ensemble du territoire et dont un ancien chef fut un jour Président. Il ne peut s'appuyer sur aucune référence ni aucune équipe d'élus pour soutenir son projet.
Populairement enfin, cet immobilisme bipolaire que l'on retrouve dans la classe politique comme dans les médias - songez qu'à trois reprises les deux principaux candidats ne débattent qu'entre eux - se retrouve aussi dans les consciences des citoyens américains adeptes de ce que nous appelons en France le vote utile. Aux États-Unis, voter pour quelqu'un qui n'a aucune chance de remporter l'élection est une hérésie. Imaginent-ils seulement le vent de changement que pourrait signifier, dans un pays comme le leur, la performance d'un troisième candidat atteignant seulement un score de 10%? S'il pouvait ne serait-ce que prétendre pouvoir remporter un état?
Ceci reste très improbable mais n'est pas impossible. L'élément qui a largement contribué à l'émergence de François Bayrou, c'est Internet et le buzz créé autour de sa candidature. Pour Ralph Nader le buzz tarde à venir, mais tout peut aller si vite que le moindre frémissement pourrait créer une réaction en chaîne en terme de médiatisation et de financement. Pour François Bayrou tout, ou presque, avait débuté par cette interview fleuve du Politic'show. Ralph Nader a mis en ligne depuis trois semaines cet incroyable discours électrochoc. Et si tout partait de là? Et si, comme si souvent avec nos œuvres cinématographiques, les américains nous offraient un remake au scénario encore plus improbable que l'original?
Aurélien
*: En 1965 Ralph Nader sorti de l'anonymat en affrontant victorieusement l'industrie automobile américaine, et son fer de lance General Motors, concernant la sécurité des véhicules automobiles. Ce travail a forcé l'industrie à investir dans la sécurité et implanter des standards internationaux, ce qui en bout de ligne a certainement contribué à sauver des milliers de vies humaines.
1 commentaires:
Bonjour,
bravo pour votre blog que je découvre (et pour la référence à Denis Robert).
3ème homme aux présidentielles aux Etats-Unis : ce n'est pas si rare ! Plus de 18% pour Ross Perot en 1992 (élection remportée par Bill Clinton avec 43%).
Bayrounomics in the USA : le candidat le plus proche de François Bayrou me semblait plutôt être Barack Obama (Cf. lien) mais voyons, en effet, l'audience qu'obtiendra Ralph Nader !
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