jeudi 2 décembre 2010

Le coup du lapin

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Avant hier, je m'agaçais de voir nos médias s'extasier devant le plus gros anti-scoop du siècle. C'est vrai j'aimerais, et je ne pense pas être le seul, retrouver de l'investigation, de l'analyse et de la profondeur dans mes lectures de presse. Aussi ma frustration est grande quand la totalité des Unes nationales sont saturées de vide. Malheureusement, l'amélioration n'était pas pour ce 1er décembre.


Hier donc, plusieurs journaux français (par exemple celui-ci ou celui-là) ont rapporté sur leurs sites respectifs une anecdote dénichée par leur homologue anglais The Guardian dans les câbles diplomatiques confidentiels diffusés par Wikileaks. Voulant présenter son fils Louis à l'Ambassadeur des États-Unis lors d'une rencontre officielle au Ministère de l'Intérieur qu'il avait encore en charge en 2006, Nicolas Sarkozy l'invite à les rejoindre. Mais Louis ne vient pas seul, un chien le suit tandis qu'il porte un mignon petit lapin. Pour se présenter, il échappe son lapin qui se fait aussitôt courser par son chien, aux trousses duquel fonce Nicolas Sarkozy, le tout déclenchant l'hilarité générale. Oh Joie! On nous l'avait bien dit que les fuites Wikileaks représentait un danger pour l'équilibre diplomatique mondial...

Par curiosité, je suis tout de même allé consulter le câble en question. On le trouve facilement - bien plus facilement que sur les sites de presse française d'ailleurs - sur le site même de Wikileaks, précisément ici. L'anecdote léporidée, digne de feu Benny Hill, clos le document au paragraphe 6: "To shake hands with the Ambassador, Louis put down the rabbit -- and the dog started chasing the rabbit through Sarkozy’s office, which led to the unforgettable sight of Sarkozy, bent over, chasing the dog through the ante-room to his office as the dog chased the rabbit, and Louis filled the room with gleeful laughter."

Cependant, si vous avez cliqué sur ce dernier lien, vous aurez constaté que le câble est bien plus volumineux que cette simple anecdote. On y trouve d'autres informations concernant notre Président actuel. D'abord qu'il était honoré d'aller visiter les États-Unis le lendemain même de cette rencontre avec l'Ambassadeur. Puis qu'il tenait à nouer des liens informels avec les responsables américains avant l'élection de 2007, avant, en cas de victoire, d'être tenus éloignés par leurs charges respective. Ensuite qu'il estimait à 50-50, 8 mois avant son élection, ses chances de succéder à Jacques Chirac. Enfin, "last but not least", qu'il ne s'inquiétait pas à l'époque de sa rivale annoncée Ségolène Royal.

Pause. Attendez... Il s'agit de la même candidate qui vient subitement de se lancer dans la course aux primaires du PS en vue des présidentielles de 2012, tandis que Nicolas Sarkozy avoue à demi-mot envisager de se succéder à lui-même. Le paragraphe 5 du document en question, dans ce contexte, me semble particulièrement intéressant. Le voici:

"Sarkozy was nearly cavalier in his dismissal of the capabilities of Poitou-Charentes Region President and Socialist Party frontrunner Segolene Royal. He said, “she doesn’t bother me,” meaning that he did not believe that she would be a formidable opponent.

He explicitly pointed to her “lack of experience,” both in withstanding the rigors of high office and those of presidential-level electoral politics, as crippling shortcomings in her ability to mount a crediblepresidential candidacy against his. (Comment: Ever since her emergence as a highly popular presidential contender a year ago, Royal has been underestimated by all of France’s professional politicians. End Comment.)

Sarkozy mentioned former prime minister Lionel Jospin as a possible alternative to Royal, but did not venture a view on Jospin’s chances of upsetting Royal. He added that he felt Royal’s candidacy was facing increasing turbulence in the run up to the socialists’ primary election (in mid-November), and that this, along with her dominance of the popularity polls with him, “protects me.” (Comment: By absorbing so much of the attention of press and public, Royal is shielding Sarkozy from the sort of criticism and scrutiny that might undercut his candidacy. Sarkozy is making good use of this ‘blocking effect,’ using it to set the agenda for the upcoming campaign in a series of speeches that articulate both principles for action and concrete proposals. End Comment)"

Traduction rapide:

En septembre 2006, le candidat UMP jugeait donc son adversaire peu compétente, avouait qu'elle ne le dérangeait pas et ne croyait pas qu'elle représentait un adversaire de taille. Pointant son manque d'expérience à la fois sur des postes à hautes responsabilités et sur des campagnes électorales de ce niveau, il doutait alors très fortement de la crédibilité qu'elle pourrait acquérir face à sa propre candidature. L'auteur du câble rappelle en commentaire qu'à l'époque Ségolène Royal était d'ailleurs sous-estimée par tous les "politiciens professionnels" de France.

Après avoir évoqué rapidement la possibilité d'une entrée en course de Lionel Jospin à laquelle il ne croyait guère, Nicolas Sarkozy ajouta que la candidature de Ségolène Royal subissait des turbulences de plus en plus fortes lors des primaires du PS alors en cours, ce qui, combiné à leurs popularités sensiblement équivalentes dans les sondages de l'époque, le protégeait. En absorbant tellement d'attention médiatique, elle lui servait en fait de bouclier face aux critiques et examens qui pourrait mettre à mal sa propre candidature. Il pouvait alors faire plein usage de cet "effet bloquant" pour définir l'agenda de la campagne à venir dans une série de discours articulant principes d'action politique et propositions concrètes.

C'était à l'automne 2006. Fin 2010, Ségolène Royal se lance à nouveau dans les primaires socialistes. Les turbulences reprennent, pour ne pas dire "se répètent", le bouclier est à nouveau fonctionnel, Nicolas Sarkozy a déjà repris en main - sans effort aucun - l'agenda d'une campagne qui nous semblera durer une éternité.

Mais oubliez ça, et souvenez vous du petit lapin.


Aurélien
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mardi 30 novembre 2010

Wikipschitt

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On nous avait prévenus. On allait voir ce qu'on allait voir. Wikileaks allait ouvrir son robinet fuyant et nous inonder de centaines de milliers de documents officiels provenant des archives de la diplomatie américaine. Du confidentiel, du secret, du top secret. Wikileaks révèleraient au monde entier la réalité des coulisses de la diplomatie à l'échelle planétaire, celle qui déclenche des guerres, fait tomber des dictatures pour du pétrole, canalise les flux financiers. Chouette! C'est qu'en France, avec les affaires Bétancourt et Karachi qui alimentent nos imaginaires depuis des mois et font délirer le sommet de l'État, on est chaud comme des baraques à frites sur les questions de fuites d'informations et de diplomatie occulte. Mais Wikileaks a promis, on saura tout du côté obscur de la Force.

Oui, c'est énorme, mais... Pour diffuser son coup d'éclat et s'assurer une publicité mondiale, Wikileaks s'est tourné vers 5 des plus grands journaux du globe: le New-York Times, le Guardian, Le Monde, Der Spiegel et El Paìs. Ceux-ci ont mis conjointement sur pied une cellule spéciale de plus d'une centaine de journalistes pour analyser, trier, hiérarchiser le quart de millions de mémos diplomatiques tous plus explosifs les uns que les autres. C'est qu'il y a tellement de matériel sensible que tout ne pourra pas être publié.

Oui, c'est du jamais vu, mais... Le club des 5, mené par le New-York Times, croulant sous le poids de la culpabilité et la peur de mal faire, est allé prendre une douche froide au Pentagone et demander à l'administration d'Obama si sa sélection était respectueuse des intérêts des pays concernés, notamment en ne mettant pas à risque la sécurité de leurs agents. Une fois rassurés - aucun ordinateur ne sera confisqué - ils publient en ce dernier lundi de novembre 2010 leurs comptes-rendu respectifs de l'épluchette de mémos du week-end.



Oui, c'est pas mal, mais... On y apprend plein de choses. Tenez-vous bien, par exemple, pour nous français: vous le saviez que notre Président était susceptible et autoritaire? Oui? Ah. Et non mais attendez, ce n'est pas tout, Berlusconi le chef de gouvernement italien, il aime faire la bringue avec des jeunes filles, figurez-vous. Vous le saviez aussi? Vous bossez dans une ambassade ou quoi? Et que Poutine est plutôt dominant et Merkel peu adepte de la prise de risque? Aussi? Décidément, les Affaires Étrangères devraient faire appel à vous... Pour peu que vous sachiez aussi que Kadhafi est bizarre et Kim Jong-Il un peu barré...

Pour résumer, quand on s'intéresse un peu à la politique et à la diplomatie sans en être un spécialiste, la seule chose qu'on apprend de cette fuite - en même temps que les journalistes de télévision trop heureux de marteler un nouveau mot, c'est que les mémos diplomatiques, on appelle ça des "câbles". Pas de quoi en péter un.

Oui, c'est mieux que rien, mais... en fait non, c'est pareil. Les médias ont beau nous vendre du sensationnel, multiplier les articles racoleurs et frimer sur l'énormité de paquet de données à traiter, ils ne font que révéler des évidences.

Tout ce raffut ne change absolument rien. La fuite, s'il devait y en avoir une, a été maîtrisée. Tout cela se tassera rapidement et sera vite oublié face aux urgences financières, écologiques ou bien sanitaires qui secouent notre monde et surtout intéressent vraiment les tout petits êtres humains que nous sommes. On fera bien ici ou là semblant de craindre de nouvelles tensions, mais les diplomates connaissant la diplomatie, nul doute qu'ils en rigolent déjà en tirant sur leurs cigares dans le confort des officines à la nécessaire confidentialité retrouvée.


Aurélien

Sur d'autres blogs on dénonce plutôt une exigence naïve, malsaine et dangereuse de transparence.
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jeudi 25 novembre 2010

Les Jeudis d'Edgar - 25 - La Résistance Slow

Chaque jeudi (ou presque...) je viens vous présenter un échantillon de l'œuvre et de la pensée d'Edgar Morin. Je souhaite ainsi, en rapprochant à ma modeste mesure ses idées de la politique en général et du MoDem en particulier, nourrir les débats qui prendront place pour définir, et éventuellement mettre en application, ce nouveau modèle de société que des millions de français ont appelé de leurs vœux en mai 2007.

Si la vie d'Edgar Morin devait se résumer en un mot, ce serait "Résistance". Résistance à la douleur lorsqu'enfant il perd sa mère. Résistance à l'occupation allemande. Résistance au communisme stalinien. Résistance au colonialisme. Résistance à ses propres démons. Résistance à la facilité. Résistance à la réduction des idées, à la compartimentation des savoirs.


C'est de cette succession de résistances, parfois simultanées, à la fois antagonistes et complémentaires, qu'il a forgé sa pensée complexe. En ont émergé des ouvrages essentiels tels que "L'homme et la mort", "Autocritique", "Mes démons", "Terre-Patrie" et bien sûr "La Méthode".

Aujourd'hui, dans nos sociétés toujours plus stressées et stressantes, où l'on va d'excès hallucinants en insupportables gaspillages, où l'on produit pour consommer pour produire, où l'on existe pour gagner du temps libre qu'on s'empresse aussitôt de délimiter, de chronométrer et de valoriser, etc... quelle forme pourrait prendre la Résistance?

Edgar Morin a son idée: la modération. Il prépare d'ailleurs un prochain ouvrage dans lequel il exposera, après Aristote ou Montesquieu, sa propre théorie de la modération. En ce sens, il avoue être partisan de ce qu'on appelle aujourd'hui le Slow Life, que l'on pourrait traduire littéralement par la Vie Lente.



Lorsqu'on joue une partition musicale, le but n'est pas la note finale mais la meilleure interprétation possible. Par analogie, le but de la vie doit-il être un quelconque succès promis au bout d'une chemin parcouru au pas de course effrénée d'école en collège, de lycée en université, de stage en CDI, de promotion en augmentation? Ou doit-il être de profiter du chemin, de prendre le temps de s'écouter soi-même, de comprendre ses proches, de respecter notre environnement et d'en prendre soin?

Les adeptes du Slow Life penchent clairement pour la seconde option et se sont organisés en un mouvement international en essor. Il serait réducteur d'y voir une simple éloge de la lenteur ou pire, de la paresse ; il s'agit bien d'une véritable philosophie de vie, exportée d'Italie où sont nées les premières Slow Cities.

Il s'agit de ralentir, de rétrograder (au sens automobile du terme) dans tous les aspects de sa vie, les principes Slow se déclinent à propos dans un esprit de respect des autres et de l'environnement et de curiosité pour les choses simples. Le Slow s'applique aussi bien, par exemple, à la nourriture qu'aux voyages ou qu'à l'Art. On parle alors de Slow Food, Slow Travel, Slow Art...

Pour moi, c'est une découverte récente qui m'intrigue au plus haut point et que je vais prendre le temps d'approfondir... en allant me promener ici ou .

Pour en savoir plus sur la vie de résistant d'Edgar Morin, il y a cette rencontre FNAC tout en lenteur.

Pour lire ou relire tous les épisodes des Jeudis d'Edgar, c'est par ici.


Aurélien
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mercredi 24 novembre 2010

Audrey Pulvar & les conflits d'intérêts

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Suite à la déclaration de candidature à l'investiture du Parti Socialiste pour les prochaines élections présidentielles d'Arnaud Montebourg, sa compagne et journaliste politique Audrey Pulvar a vu son émission suspendue par sa chaîne i-télé. J'insiste, ce n'est pas Audrey Pulvar qui est suspendue, mais son émission. Son contrat n'est pas rompu et la chaîne annonce travailler avec elle sur un projet d'émission non-politique pour début 2011.


Dans les médias comme dans le milieu politique, à gauche comme à droite, on dénonce une décision scandaleuse ou machiste remettant en cause la compétence et l'éthique d'Audrey Pulvar. C'est la preuve selon moi, malgré une actualité récente mouvementée, sans même évoquer la démagogie criante de certains, qu'on ne sait toujours pas en France ce qu'est un conflit d'intérêts et encore moins l'intérêt, justement, d'une saine prévention en la matière.

Rappelons en la définition:
« Un conflit d'intérêts naît d'une situation dans laquelle une personne employée par un organisme public ou privé possède, à titre privé, des intérêts qui pourraient influer ou paraître influer sur la manière dont elle s'acquitte de ses fonctions et des responsabilités qui lui ont été confiées par cet organisme ».

Dans le cas d'une journaliste politique concubine d'un candidat à l'élection suprême, le conflit est avéré. Il est tout aussi évident qu'un tel conflit d'intérêts, comme l'a justement rappelé le patron de la rédaction d'i-télé, s'il devait durer, pourrait générer de la suspicion à l'encontre de la journaliste comme de la chaîne. On peut s'interroger sur le timing et sur la forme, mais sur le fond, i-télé a pris une bonne décision dans le but de protéger ses intérêts, ceux de son employée et même ceux des citoyens. En effet, dans un contexte de campagne électorale, l'information est une clé essentielle de la décision finale des électeurs.

Cela ne remet en aucun cas en cause les compétences et la déontologie d'Audrey Pulvar. Au contraire, cela protège sa crédibilité. La seule réserve que je puisse émettre aujourd'hui dépend de l'identité et des qualités de celui ou celle qui la remplacera.

N'importe qui peut se retrouver dans un conflit d'intérêts, même le plus incorruptible des incorruptibles. Cela n'implique en aucune manière une culpabilité, une corruption, une partialité, encore moins une incompétence. C'est en revanche se rendre vulnérable, c'est s'exposer à la tentation d'être au mieux biaisé, dans ses actes, au pire corrompu ou corrupteur.

La mise en application stricte d'une telle conception du conflit d'intérêts, préventive et protectrice des intérêts de tous les protagonistes, jusqu'au citoyen, éviterait non seulement bon nombre d'affaires comme celle impliquant Éric Woerth, mais aussi des situations aussi suspectes que celles décrites dans ce billet.

Il va sans dire que la vie politique devrait, c'est même une urgence, être exemplaire dans ce domaine. J'ose d'ailleurs fonder quelque espoir sur les travaux de la Commission de Réflexion pour la Prévention des Conflits d'Intérêts. Celle-ci a récemment réalisé des auditions publiques de divers responsables politiques, administratifs ou associatifs. Je vous conseille notamment celle de François Bayrou.


Aurélien
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Affaire Karachi: Questions à Jean-Louis Debré

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Nous sommes le 11 Octobre 1995. Le Conseil Constitutionnel, autorité suprême des nos institutions, imposant ses décisions à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, rend son avis sur la régularité des comptes de campagne présidentielle d'Édouard Balladur, battu dès le premier tour de l'élection reine de cette même année.

La décision officielle est claire: avis favorable. L'État devra rembourser plus de 30 millions de francs (environ 4,5 millions d'euros) au candidat selon les règles en vigueur. Circulez citoyens, ayez confiaaaaaaaaanssszzze, tout est conforme. Officiellement.


Quinze ans plus tard pourtant, presque jour pour jour, le journal Libération fait état des délibérations tenues en amont de cette décision du 11 Octobre 1995, révélant que les experts financiers en charge de l'examen du compte en proposaient le rejet pur et simple. Le motif principal: un dépôt en espèces non justifié de 10 Millions de francs quand toute recette ou dépense doit être justifiée ; le code électoral le dicte ici. Selon Libération, cette découverte, par la Brigade Centrale de Lutte contre la corruption (BCLC), a eu lieu au printemps dernier dans les archives du Conseil Constitutionnel pourtant soumises au secret pendant vingt-cinq ans.


C'est ce même délai (motivé dans cette décision, spécifié dans cet article du Code du Patrimoine, cité par cette Ordonnance, elle même citée par cette loi organique requise par cette constitution en son article 63... Nul n'est censé ignorer la loi, pas vrai?) que Jean-Louis Debré, Président du Conseil Constitutionnel, utilisa comme argument pour refuser au juge d'instruction Renaud Van Ruymbecke l'accès aux mêmes archives. Ce dernier, en charge de l'enquête sur le volet financier de l'affaire Karachi, espérait y trouver la justification de l'écart entre les recommandations des experts financiers et la décision officiel du Conseil Constitutionnel. Mais quand Jean-Louis Debré dit "non", ne laissant comme seul recours un Premier Ministre plein de pudeur, c'est non.


Une question mériterait cependant de lui être posée:

Comment la BCLC a-t-elle eu accès à des archives du Conseil Constitutionnel pourtant soumises au secret jusqu'en 2020?


Questions subsidiaires:

Si la BCLC a pu bénéficier de cet accès en toute légalité, ce qui semble très probable, pourquoi refuser au juge Van Ruymbeke aujourd'hui ce qu'on a autorisé à la BCLC hier?

Le contenu des archives en question aurait-il soudainement changé de nature? De portée?

Pourquoi craindre à ce point la transparence au sujet d'un simple compte de campagne électorale?

N'avez-vous pas confiance à la justice de notre pays?

Question finale:

Quelle confiance le citoyen peut-il accorder aux hommes et femmes politiques élus ou nommés à son service lorsque la plus haute autorité de l'État génère, contre elle-même et de son propre fait, autant de suspicion?



Aurélien

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mardi 16 novembre 2010

Il n'y a plus de politique à la télé

Petit récit de ce que j'ai pu voir hier soir, sur France 2:

D'abord, le Président de la République a parlé aux journalistes pour s'expliquer d'un remaniement qui les obsède depuis des mois. Ils ont pu l'interroger sur les raisons de l'attente et des choix. Pourquoi untel est sorti et l'autre rentré, où en sont les égos de chacun, des frictions sont elles évitées ou à craindre, l'ouverture est-elle morte, sa popularité l'inquiète-t-elle, sera-t-il candidat, etc... Quel ne fut pas leur soulagement à la lueur de cet éclairage élyséen aussi imprévisible que le dernier métro...

Puis, le Président remercié, les journalistes ont posé les mêmes questions, plusieurs fois mais sous de multiples formes, aux opposants comme aux membres du gouvernement et de la majorité. Ceux-ci n'ont pas loupé l'occasion de briller dans deux épreuves qu'ils maîtrisent tous à la perfection : la langue de bois quand on parle de l'élite politique que l'on représente et qui travaille si dur pour l'intérêt général dans un impeccable esprit de justice et de modernité ; le mépris décomplexé lorsque l'on évoque les ringards imposteurs d'en face qui ne comprennent rien à rien et n'ont pour seul objectif que la liquidation de la France.

Enfin, les journalistes ont pu tranquillement, entre eux, débattre des stratégies de leurs hérauts favoris pour optimiser leurs chances de victoire aux élections présidentielles de 2012. Qui devront-ils rassurer dans leur propre camp, les Xistes ou les Yiens? Quelle image devront-ils renvoyer aux français? Quelle petite phrase leur sera fatale? etc...

Les journalistes continueront ce débat, sous prétexte de remaniement, pendant une bonne semaine. Puis l'agenda élyséen fera défiler un autre sujet sur les prompteurs... et le prétexte changera, le même débat pourra continuer.

La politique a disparu de nos écrans. Malgré quelques émissions qui en portent officiellement l'étiquette, elle s'y est faite bouffée de l'intérieur par ce parasite qui a déjà ravagé nos institutions: l'électoralisme. Toute discussion politique à la télévision française, aujourd'hui, ne tourne plus qu'autour des chances d'élection ou ré-élection de Pierre, Paul ou Jacques et de leurs stratégies respectives en ce sens. Si Sarkozy ne doit pas céder sur l'âge de départ à la retraite, ce n'est pas pour une question de financement, c'est pour montrer qu'il ne cède pas à la pression de la rue. Si Aubry s'y oppose, ce n'est pas pour une question de qualité de vie des salariés après le travail mais pour rassurer l'aile gauche de son parti. Voilà ce qu'on nous expose sur nos petits écrans à longueur d'émissions comme '"A vous de juger".

Et la forme qu'on y met n'est pas anodine. Il faut, dans la confrontation, la radicalisation, la certitude, ne plus parler que de stratégies élaborées, de rivalités fabriquées, d'humiliation et de mort pour les uns, de béatification et de résurrection pour les autres. Surtout que ça balance, que ça saigne, qu'on entretienne les rumeurs et la désinformation, que l'on spécule sur les éventuels coups-bas et autres ralliements en trompe-l'œil. Tant pis, on est pas là pour expliquer et encore moins mesurer des idées mais pour mettre en scène des personnages, pour faire naître et vivre un concept télévisuel qui réalise les meilleures audiences possibles avec la politique pour toile de fond.

C'est de la télé-réalité, au fond. Tout au fond. Cette semaine, Nico a profité de son immunité pour éliminer Jean-Louis et sauver François, en attendant le vote du public dans dix-huit mois pour savoir qui de Nico, Ségo, Marine, François, Jean-Luc, Eva ou Olivier remportera la Prèz Academy 2012.

Ont-ils seulement du talent, ces candidats? Ont-ils quoi que ce soit à proposer d'original et qui tienne la route face à l'ampleur, la complexité et l'urgence des missions qui attendront le vainqueur? Malheureusement aucune émission ne nous le dira, pas plus la quotidienne que le prime. Impossible, même sur le service public. Quand en face il y a les Experts-Miami, du foot, ou un best-of de nos imitateurs favoris, il serait suicidaire de vouloir solliciter l'intelligence des téléspectateurs.

La vérité politique est ailleurs ; démerde toi, citoyen.

EDIT: >Si vous ne croyez pas à la mise en scène...

Aurélien
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jeudi 1 avril 2010

Les Jeudis d'Edgar - 24 - Travailler les idées qui me travaillent

Chaque jeudi (ou presque...) je viens vous présenter un échantillon de l'œuvre et de la pensée d'Edgar Morin. Je souhaite ainsi, en rapprochant à ma modeste mesure ses idées de la politique en général et du MoDem en particulier, nourrir les débats qui prendront place pour définir, et éventuellement mettre en application, ce nouveau modèle de société que des millions de français ont appelé de leurs vœux en mai 2007.

Pas un retour ; une simple respiration. Si ce qui suit raisonne en vous autant qu'en moi, vous aurez un peu mieux compris l'apnée de ce blog...



Votre formule " je travaille les idées qui me travaillent " justifie qu'on commence cet entretien par les ressorts intimes de votre pensée ou la «dialogique», pour utiliser un de vos outils conceptuels, qui existe entre les événements marquants de votre vie et votre pensée.

Je suis de ceux qui ne peuvent pas dissocier leur vie de leurs idées, je dirais même de leur oeuvre. L'expérience de ma vie s'est répercutée sur mes idées. J'essaie de vivre en conformité avec ces idées, plus ou moins bien, plus ou moins mal car j'ai des carences et des défauts. Si vous voulez que j'aille plus avant, je dirais que je tente souvent de m'analyser, de me connaître, je crois que j'agis en fonction de ma vocation intérieure mais aussi d'un principe capital : on ne peut pas faire comme si on était le centre du monde, le souverain de l'univers, le propriétaire de la vérité.

Il faut toujours penser qu'il y a une relation entre le "nous" connaissant et notre connaissance, entre le "nous" observant et notre observation, entre le "nous" conceptuel et notre conception. Cela est aujourd'hui démontré au plan anthropologique. Que fait notre cerveau avec ses terminaux sensoriels ? Il traduit, il reconstruit sa perception du monde extérieur. Une idée est aussi une façon de traduire le monde. On se rend compte à chaque époque de l'histoire que les gens ont cru être propriétaires de la vérité absolue, objective et qu'ils se sont trompés. J'aime beaucoup citer cette phrase de Marx : "Les hommes ne savent pas ce qu'ils font et ne savent pas ce qu'ils sont".

La nécessité de me connaître et de me connaître connaissant est quelque chose d'impérieux, qui revient souvent dans mes livres. Quand j'ai voulu savoir ce qui m'anime (j'ai détecté cela avec le temps) je me suis aperçu que j'étais animé par une double dialogique ; vous savez ce que j'appelle la dialogique, ce sont deux idées apparemment antagonistes, mais en même temps complémentaires. Ma double dialogique s'articule autour de deux entités : « foi-doute » et « rationalité-mysticisme ». Si j'essaie d'en connaître la source, je trouve un accident personnel, la mort de ma mère quand j'avais dix ans. Elle m'a d'autant plus ébranlé que j'étais un enfant unique, avec tout ce que cela implique. Elle m'a donné une sorte de scepticisme irrémédiable sur toutes choses. En même temps, la perte de quelqu'un qui représentait pour moi l'amour et la communion m'a amené à rechercher une communion, une foi que je n'ai jamais trouvées dans les religions officielles.

Mais si je prends le mot religion au sens plus large de fraternité dans le monde, c'est ce que j'ai trouvé dans l'idée socialiste et communiste formée au dix-neuvième siècle ; c'était une religion de la fraternité et de l'espérance.J'ai une tendance critique, bien que j'ai pu en pleine guerre entrer dans le communisme stalinien. Mais vous savez que c'était une époque de luttes dantesques et je me disais : une fois dépassé le communisme de gel, le socialisme s'épanouira. Très peu de temps après, l'esprit critique m'a montré que mes espérances ne se réaliseraient pas. D'autre part, je crois beaucoup à la rationalité ; je dis rationalité et non pas Raison avec une majuscule. La Raison, pour moi, c'est croire qu'on peut tout comprendre uniquement à partir d'une théorie purement logique, tout pouvoir expliquer. Je crois par contre que la rationalité est ouverte : elle veut dire qu'il faut savoir manier l'induction, la déduction, la logique mais surtout l'argumentation.


Qu'est ce qu'être rationnel ?

C'est voir si les faits sont en accord avec votre théorie. S'ils ne le sont pas, ce ne sont pas les faits qui ont tort mais votre théorie qu'il faut corriger. Pour moi, c'est ça la rationalité et en même temps, elle demeure ouverte car il y a des phénomènes inexpliqués. Je pense qu'il y a dans l'univers un résidu inexplicable, une part de mystère…Mes pulsions ont fait que j'ai reconnu de plus en plus dans Pascal un auteur-clé qui, dans le fond, exprimait mon être, ma pensée. Ça pouvait sembler paradoxal parce que Pascal, quand on l'apprend dans les livres, c'est qui ? C'est l'homme (un grand croyant) qui a voulu prouver que la religion chrétienne était la vraie religion ; mais ce n'est, à mon avis, qu'un aspect de Pascal.

Quand on lit tout ce qu'il a écrit dans Les Pensées, on voit qu'il était animé aussi par le scepticisme ; c'est lui qui a écrit "Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà". Il s'est rendu compte que les vérités étaient relatives. Il a lu Montaigne qui était un grand sceptique et dans son Discours sur la condition des grands, c'est-à-dire les rois, les grands seigneurs, les aristocrates, il déclare que s'ils sont grands, c'est par le hasard de la naissance. Certes, ensuite, il ajoute : "Oui, évidemment ils ne sont pas meilleurs que les autres, mais s'il faut un minimum d'ordre social, laissons-les gouverner".

Cet esprit très rationnel connaît les limites de la raison et c'est avec la raison qu'il connaît les limites de la raison. Il croit, mais il sait très bien qu'on ne peut pas prouver rationnellement l'existence de Dieu. Alors il dit : "Il faut parier". C'est une idée tout à fait moderne. Enfin, Pascal est un mystique, qui a eu sa nuit extraordinaire de révélation, d'extase. Je reprends le pari de Pascal sur mes idées fraternitaires : on peut peut-être civiliser la terre et être moins inhumains les uns à l'égard des autres. Je continue à croire qu'il faut l'esprit critique et le scepticisme plus que jamais, parce que nous vivons à une époque où tout ce qui aide à connaître objectivement la réalité peut être truqué. On avait déjà vu des photos truquées par les spirites pour faire apparaître des ectoplasmes, on avait vu les photos où Staline ou Mao effaçaient les personnages condamnés, mais aujourd'hui, avec les images virtuelles, vous pouvez fabriquer n'importe quelle contrefaçon de la réalité historique. Nous avons donc besoin plus que jamais de notre rationalité critique.

Il y a la question mystique : quand vous éprouvez une sensation d'émerveillement devant une oeuvre musicale, une fête, une communion d'amis, dans l'amour, bien entendu, ce sont pour moi des choses mystiques, vous vivez une poésie de l'existence qui transcende les conditions prosaïques. C'est un peu parce que je crois que je suis animé par ces dialogiques que je suis ce que je suis, que j'en suis arrivé à formuler l'idée que la pensée doit être complexe.


Pourquoi ?

Parce que, justement avec cette forme d'esprit, je suis très sensible aux arguments contraires. Quand Pascal a écrit que le contraire de la vérité, ce n'est pas une erreur, c'est une vérité contraire, j'ai compris ça parce que j'avais en moi toutes ces contradictions qui me travaillent. Je suis sensible aussi aux réalités multidimensionnelles.

Je ne sais pas si ça tient à cette forme d'esprit ou au fait que je ne me suis pas laissé domestiquer par l'école ni par l'université. Quand je suis entré à l'université, j'étais un adolescent, je voulais connaître l'homme et la société ; je me suis rendu compte qu'il fallait que je fasse des études d'histoire et même des études de droit, parce qu'à l'époque, l'économie, qui me paraissait une science très importante, était enseignée en faculté de droit ; il fallait que je m'inscrive en sciences politiques et en philosophie et, à l'intérieur de la philosophie, en sociologie. J'ai commencé à être étudiant non pas pour me spécialiser dans une carrière mais pour connaître un peu les réalités humaines. Du reste, j'étais sous l'influence de Marx, en qui je voyais un penseur de la totalité humaine. Quand j'ai commencé à faire des recherches sur des phénomènes sociaux, je me suis dit que je ne pouvais pas découper l'économique, le psychologique, le religieux, l'historique, que tout ceci est interrelationnel et multidimensionnel.

C'est cela que j'ai commencé à comprendre, sans employer encore le mot de complexité, qui m'est venu sur le tard. J'ai vu que ce qui m'intéressait, c'était de dévoiler les liens entre les choses et, dans le fond, je crois que cette forme d'esprit que j'ai entretenue, les curiosités que je n'ai pas abandonnées font que je suis chercheur non seulement professionnellement, mais existentiellement.


Pour lire ou relire tous les épisodes des Jeudis d'Edgar, c'est par ici.


Aurélien
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