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Chaque jeudi (ou presque...) je viens vous présenter un échantillon de l'œuvre et de la pensée d'Edgar Morin. Je souhaite ainsi, en rapprochant à ma modeste mesure ses idées de la politique en général et du MoDem en particulier, nourrir les débats qui prendront place pour définir, et éventuellement mettre en application, ce nouveau modèle de société que des millions de français ont appelé de leurs vœux en mai 2007.
Au lendemain de la présentation des têtes de listes du Mouvement Démocrate pour les prochaines élections européennes, il me semble pertinent pour ce quinzième billet des Jeudis d'Edgar de présenter l'une de ses réflexions sur la question européenne.
Ancien résistant communiste, Edgar Morin est, au sortir de la seconde guerre mondiale, anti-européen. Il perçoit le vieux continent comme un foyer d’impérialisme et de domination. Rejetant le stalinisme, dès 1951, il part soutenir les luttes du tiers monde, puis revient à l'Europe dans les années 70 parce qu'il considère le plus précieux dans la culture européenne lui semble aussi le plus vulnérable. Il appelle dès lors à concevoir une communauté de destin, une démarche essentielle pour restituer l’identité commune sous et dans la diversité.
Extrait de Penser l'Europe:
Ce qui est important dans la culture européenne, ce ne sont pas seulement les idées maîtresses (christianisme, humanisme, raison, science), ce sont ces idées et leurs contraires. Le génie européen n’est pas seulement dans la pluralité et dans le changement, il est dans le dialogue des pluralités qui produit le changement. Il n’est pas dans la production du nouveau en tant que tel, il est dans l’antagonisme de l’ancien et du nouveau (le nouveau pour le nouveau se dégrade en mode, superficialité, snobisme et conformisme).
Le doute européen est d’autant plus vivifiant qu’il allie le scepticisme à quelque chose qui le nie à son tour. Ainsi le doute n’est pas seulement au cœur de la méditation de Montaigne, il est au cœur de la méthode de Descartes, de la foi de Pascal, de l’empirisme de Hume. Et, pour prendre les vrais héros de la littérature européenne qui sont des héros anti-héros, dont la faiblesse est grandeur, le doute n’est-il pas au cœur du devoir sacré d’Hamlet, de la lassitude permanente d’Oblomov, de la tragédie d’Ivan Karamazov, de la misère de Stravoguine?
Aujourd’hui, Milan Kundera peut rétrospectivement reconnaître en Quichotte, Faust et Don Juan les héros typiquement européens parce qu’ils sont héros de l’échec et de la dérision dans la poursuite du sublime et de l’absolu. Chacun à leur manière, ils refusaient la finitude, croyaient à l’illimité, ignoraient le principe de réalité au moment même où il s’imposait à eux. Et cela, alors que le monde bourgeois, capitaliste, scientifique, obtenait les plus prodigieuses réussites parce qu’il obéissait à tous les principes réalistes. Mais nous savons aujourd’hui que le capitalisme, la science, l’Europe obéissaient en profondeur à des pulsions qui refusaient la finitude, croyaient en l’illimité et finalement allaient oublier le principe de réalité. La littérature européenne n’a pas cessé de porter en elle le négatif invisible, fait de souffrances et d’échecs, de l’image euphorique du progrès indéfini et de la conquête du monde.
N’y avait-il pas enfin quelque secrète et permanente connexion entre la négativité propre à la culture européenne et le processus finalement autodestructeur qui a entraîné l’Europe à la ruine?
Intéressante question que je n'hésiterais pas à formuler au présent plutôt qu'au passé, surtout en cette période qui ne prête guère à l'optimisme, où tous les pouvoirs sont défiés. Il y a sans doute un cercle vicieux, pernicieux, à rompre pour redonner de l'élan à la construction européenne. Le dialogue des pluralités dont parle Edgar Morin, c'est celui des peuples, des cultures et des époques. Il vient du passé et d'en bas pour aller vers le haut et l'avenir. L'Europe ne peut plus avancer sous une bureaucratie illisible qui depuis Strasbourg ou Bruxelles impose discrètement mais sûrement sa loi.
En ce sens, dans le cadre des élections européennes, l'équipe présentée hier par le MoDem porte un alliage très équilibré d'expérience, de nouveauté et de crédibilité. Elle me semble de loin la plus à même de saisir la complexité européenne et d'œuvrer à démocratiser l'Europe et la rendre enfin lisible à ses citoyens.
Pour lire ou relire tous les épisodes des Jeudis d'Edgar, c'est par ici.
Aurélien
1 commentaires:
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