Hier donc, plusieurs journaux français (par exemple celui-ci ou celui-là) ont rapporté sur leurs sites respectifs une anecdote dénichée par leur homologue anglais The Guardian dans les câbles diplomatiques confidentiels diffusés par Wikileaks. Voulant présenter son fils Louis à l'Ambassadeur des États-Unis lors d'une rencontre officielle au Ministère de l'Intérieur qu'il avait encore en charge en 2006, Nicolas Sarkozy l'invite à les rejoindre. Mais Louis ne vient pas seul, un chien le suit tandis qu'il porte un mignon petit lapin. Pour se présenter, il échappe son lapin qui se fait aussitôt courser par son chien, aux trousses duquel fonce Nicolas Sarkozy, le tout déclenchant l'hilarité générale. Oh Joie! On nous l'avait bien dit que les fuites Wikileaks représentait un danger pour l'équilibre diplomatique mondial...
Par curiosité, je suis tout de même allé consulter le câble en question. On le trouve facilement - bien plus facilement que sur les sites de presse française d'ailleurs - sur le site même de Wikileaks, précisément ici. L'anecdote léporidée, digne de feu Benny Hill, clos le document au paragraphe 6: "To shake hands with the Ambassador, Louis put down the rabbit -- and the dog started chasing the rabbit through Sarkozy’s office, which led to the unforgettable sight of Sarkozy, bent over, chasing the dog through the ante-room to his office as the dog chased the rabbit, and Louis filled the room with gleeful laughter."
Cependant, si vous avez cliqué sur ce dernier lien, vous aurez constaté que le câble est bien plus volumineux que cette simple anecdote. On y trouve d'autres informations concernant notre Président actuel. D'abord qu'il était honoré d'aller visiter les États-Unis le lendemain même de cette rencontre avec l'Ambassadeur. Puis qu'il tenait à nouer des liens informels avec les responsables américains avant l'élection de 2007, avant, en cas de victoire, d'être tenus éloignés par leurs charges respective. Ensuite qu'il estimait à 50-50, 8 mois avant son élection, ses chances de succéder à Jacques Chirac. Enfin, "last but not least", qu'il ne s'inquiétait pas à l'époque de sa rivale annoncée Ségolène Royal.
Pause. Attendez... Il s'agit de la même candidate qui vient subitement de se lancer dans la course aux primaires du PS en vue des présidentielles de 2012, tandis que Nicolas Sarkozy avoue à demi-mot envisager de se succéder à lui-même. Le paragraphe 5 du document en question, dans ce contexte, me semble particulièrement intéressant. Le voici:
"Sarkozy was nearly cavalier in his dismissal of the capabilities of Poitou-Charentes Region President and Socialist Party frontrunner Segolene Royal. He said, “she doesn’t bother me,” meaning that he did not believe that she would be a formidable opponent.
He explicitly pointed to her “lack of experience,” both in withstanding the rigors of high office and those of presidential-level electoral politics, as crippling shortcomings in her ability to mount a crediblepresidential candidacy against his. (Comment: Ever since her emergence as a highly popular presidential contender a year ago, Royal has been underestimated by all of France’s professional politicians. End Comment.)
Sarkozy mentioned former prime minister Lionel Jospin as a possible alternative to Royal, but did not venture a view on Jospin’s chances of upsetting Royal. He added that he felt Royal’s candidacy was facing increasing turbulence in the run up to the socialists’ primary election (in mid-November), and that this, along with her dominance of the popularity polls with him, “protects me.” (Comment: By absorbing so much of the attention of press and public, Royal is shielding Sarkozy from the sort of criticism and scrutiny that might undercut his candidacy. Sarkozy is making good use of this ‘blocking effect,’ using it to set the agenda for the upcoming campaign in a series of speeches that articulate both principles for action and concrete proposals. End Comment)"
Traduction rapide:
En septembre 2006, le candidat UMP jugeait donc son adversaire peu compétente, avouait qu'elle ne le dérangeait pas et ne croyait pas qu'elle représentait un adversaire de taille. Pointant son manque d'expérience à la fois sur des postes à hautes responsabilités et sur des campagnes électorales de ce niveau, il doutait alors très fortement de la crédibilité qu'elle pourrait acquérir face à sa propre candidature. L'auteur du câble rappelle en commentaire qu'à l'époque Ségolène Royal était d'ailleurs sous-estimée par tous les "politiciens professionnels" de France.
Après avoir évoqué rapidement la possibilité d'une entrée en course de Lionel Jospin à laquelle il ne croyait guère, Nicolas Sarkozy ajouta que la candidature de Ségolène Royal subissait des turbulences de plus en plus fortes lors des primaires du PS alors en cours, ce qui, combiné à leurs popularités sensiblement équivalentes dans les sondages de l'époque, le protégeait. En absorbant tellement d'attention médiatique, elle lui servait en fait de bouclier face aux critiques et examens qui pourrait mettre à mal sa propre candidature. Il pouvait alors faire plein usage de cet "effet bloquant" pour définir l'agenda de la campagne à venir dans une série de discours articulant principes d'action politique et propositions concrètes.
C'était à l'automne 2006. Fin 2010, Ségolène Royal se lance à nouveau dans les primaires socialistes. Les turbulences reprennent, pour ne pas dire "se répètent", le bouclier est à nouveau fonctionnel, Nicolas Sarkozy a déjà repris en main - sans effort aucun - l'agenda d'une campagne qui nous semblera durer une éternité.
Mais oubliez ça, et souvenez vous du petit lapin.
Aurélien